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Le financement par des tiers en arbitrage

Le financement par des tiers (Third Party Funding, TPF) s’impose progressivement comme un mécanisme incontournable dans l’arbitrage international contemporain. Cette pratique, par laquelle un tiers extérieur au litige finance tout ou partie des frais d’une procédure arbitrale en échange d’une quote-part des gains éventuels, soulève des questions juridiques, déontologiques et procédurales fondamentales. À travers une analyse systématique des cadres juridiques nationaux et internationaux, des directives des institutions arbitrales et de la jurisprudence récente, cet article examine les tensions entre l’accès à la justice arbitrale et la préservation de l’intégrité du processus. L’étude démontre que le TPF, bien que juridiquement légitime et économiquement bénéfique, nécessite un encadrement normatif rigoureux en matière de divulgation, de prévention des conflits d’intérêts et de protection des parties adverses pour garantir l’équilibre entre innovation financière et justice procédurale.

Mots-clés : financement par des tiers, arbitrage international, déontologie, conflits d’intérêts, divulgation.

Third-party funding (Third Party Funding, TPF) is progressively establishing itself as an indispensable mechanism in contemporary international arbitration. This practice, whereby a third party external to the dispute finances all or part of the costs of an arbitral proceeding in exchange for a share of any potential proceeds, raises fundamental legal, ethical, and procedural questions. Through a systematic analysis of national and international legal frameworks, arbitral institutions’ guidelines, and recent case law, this article examines the tensions between access to arbitral justice and the preservation of the process’s integrity. The study demonstrates that while TPF is legally legitimate and economically beneficial, it requires rigorous normative regulation regarding disclosure, prevention of conflicts of interest, and protection of adverse parties to ensure a balance between financial innovation and procedural justice.

Keywords: third-party funding, international arbitration, ethics, conflicts of interest, disclosure.

L’arbitrage international a connu au cours des dernières décennies une expansion sans précédent, s’affirmant comme le mode privilégié de règlement des différends commerciaux transnationaux et des litiges d’investissement[1]. Cette croissance s’accompagne toutefois d’une augmentation substantielle des coûts procéduraux, qui peuvent atteindre plusieurs millions d’euros dans les affaires complexes, constituant ainsi un obstacle majeur à l’accès à la justice pour de nombreux justiciables[2].

Dans ce contexte économique contraignant, le financement par des tiers (Third Party Funding, ci-après « TPF ») émerge comme une réponse innovante aux défis financiers de l’arbitrage contemporain. Cette pratique consiste pour une entité tierce, sans lien préexistant avec le litige, à prendre en charge tout ou partie des frais nécessaires à une procédure arbitrale en échange d’une quote-part du montant alloué par la sentence ou d’un multiple du capital investi[3].

Le financement par des tiers peut être défini comme un mécanisme contractuel par lequel une entité tierce, sans lien préexistant avec le litige, accepte de prendre en charge la totalité ou une fraction des frais nécessaires à une procédure d’arbitrage. En contrepartie de cet investissement, le tiers financeur perçoit généralement un pourcentage du montant alloué par la sentence arbitrale ou un multiple du capital investi, selon les modalités convenues contractuellement.

Cette opération revêt une nature juridique complexe. Selon le rapport du Club des juristes de 2014, le contrat de financement doit être considéré comme un contrat composite ou sui generis, associant diverses prestations relevant potentiellement du contrat d’entreprise, du mandat, de la cession de créance ou encore du contrat aléatoire. Cette qualification hybride explique l’absence de régime juridique spécifique dans la plupart des ordres juridiques nationaux.

Il convient de distinguer le TPF d’autres mécanismes de financement du contentieux. Contrairement au pacte de quota litis, traditionnellement prohibé dans les systèmes de droit civil, le TPF n’établit pas une rémunération de l’avocat proportionnelle au résultat. De même, il se différencie de l’assurance de protection juridique par sa nature spéculative et son intervention ex post plutôt que préventive.

Né en Australie dans les années 1980 avant de se diffuser dans les pays de common law, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, le TPF connaît aujourd’hui une expansion mondiale qui interpelle les systèmes juridiques de tradition civiliste, y compris dans l’espace OHADA[4]. La rencontre entre le monde de la finance et celui de la justice soulève des interrogations fondamentales touchant à l’éthique professionnelle, à l’intégrité du processus arbitral, à l’indépendance des arbitres et des avocats, ainsi qu’à l’équilibre des droits des parties[5].

L’étude du financement par des tiers en arbitrage revêt une importance majeure à plusieurs égards. Sur le plan économique, le TPF contribue à faciliter l’accès à la justice arbitrale pour des justiciables qui, sans cette ressource, ne pourraient assumer les coûts prohibitifs d’une procédure internationale. Il permet également une meilleure répartition des risques financiers et offre aux parties une flexibilité dans la gestion de leur trésorerie.

D’un point de vue institutionnel, le TPF interroge les fondements mêmes de l’arbitrage : son caractère confidentiel, l’indépendance et l’impartialité des arbitres, l’autonomie de la volonté des parties. La présence d’un acteur économique motivé par la recherche de profit au sein d’un processus juridictionnel soulève des questions éthiques et déontologiques inédites.

Pour la profession d’avocat, le TPF constitue à la fois une opportunité et un défi. S’il offre de nouvelles possibilités de financement pour leurs clients, il impose également une vigilance accrue dans la préservation du secret professionnel, de l’indépendance du conseil et de la loyauté envers le client.

Enfin, dans le contexte spécifique du règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), le TPF cristallise des tensions particulières. Comme le souligne le document de travail de la CNUDCI de 2019, le fait que seuls les investisseurs privés, et non les États défendeurs, bénéficient du financement par des tiers crée un déséquilibre structurel qui alimente les critiques à l’égard du système RDIE dans son ensemble.

La problématique centrale de cette étude peut être formulée ainsi : dans quelle mesure le financement par des tiers en arbitrage international peut-il concilier l’amélioration de l’accès à la justice avec la préservation de l’intégrité du processus arbitral et le respect des principes déontologiques fondamentaux ?

Cette question générale se décline en plusieurs interrogations subsidiaires : Comment garantir l’indépendance des arbitres et des avocats en présence d’un financeur tiers ? Quel équilibre trouver entre la confidentialité inhérente à l’arbitrage et l’exigence de transparence nécessaire à la prévention des conflits d’intérêts ? Quelles régulations, nationales ou internationales, sont nécessaires pour encadrer cette pratique ? Comment protéger les intérêts de la partie adverse face à un demandeur financé par un tiers ?

L’hypothèse directrice de cette recherche postule que le financement par des tiers constitue un mécanisme juridiquement et économiquement légitime qui contribue positivement à l’accès à la justice arbitrale, à condition qu’un cadre normatif approprié soit établi pour prévenir les dérives potentielles et garantir l’équilibre des intérêts en présence[6].

Cette étude adopte une approche juridique comparative et pluridisciplinaire, combinant l’analyse doctrinale, l’examen de la jurisprudence arbitrale internationale et l’étude des instruments normatifs récents (Lignes directrices IBA 2024[7], Règlement ICC 2021[8], Règlement d’arbitrage ICSID révisé en 2022[9], travaux de la CNUDCI[10]).

L’analyse s’articulera en deux parties. La première partie examine les fondements juridiques et les enjeux déontologiques du financement par des tiers, en analysant successivement sa nature juridique et sa validité (I.A), puis les défis éthiques qu’il soulève pour les acteurs de l’arbitrage (I.B). La seconde partie étudie les conséquences procédurales et les perspectives réglementaires, en examinant l’impact du TPF sur le déroulement et le coût des procédures arbitrales (II.A), avant d’explorer les différentes voies d’encadrement normatif envisageables (II.B).

Le financement par des tiers constitue une innovation majeure dont la légitimité juridique et l’acceptabilité éthique demeurent débattues. Cette première partie examine les fondements juridiques de cette pratique et les conditions de sa validité dans différents systèmes juridiques (I.A), avant d’analyser les défis déontologiques qu’elle pose aux principaux acteurs de l’arbitrage (I.B).

L’irruption du Third Party Funding (TPF) dans le contentieux a posé, dès ses débuts, une question de principe : celle de sa compatibilité avec les systèmes juridiques. Pour y répondre, il est nécessaire, d’une part, de définir sa nature contractuelle et, d’autre part, d’évaluer sa licéité au regard des interdictions historiques, avant de considérer les solutions normatives proposées pour stabiliser sa pratique. Nous étudierons ainsi successivement :

  • La qualification juridique : un contrat sui generis, qui révèle la complexité de l’opération et l’absence de régime spécifique.
  • La licéité au regard des prohibitions historiques : champerty et quota litis, qui expose la confrontation entre modernité financière et tradition judiciaire.
  • La sécurisation juridique et les perspectives d’évolution normative, qui souligne la nécessité d’un encadrement pour pérenniser l’outil.

Le contrat de financement par des tiers échappe aux catégories contractuelles traditionnelles et doit être appréhendé comme un contrat composite ou sui generis, combinant plusieurs prestations de nature distincte[11].

Selon l’analyse développée par le Club des juristes français en 2014, le contrat de TPF associe des éléments relevant de plusieurs contrats nommés : le contrat d’entreprise (fourniture d’une prestation de financement), le mandat (gestion d’intérêts), la cession de créance (transfert partiel des droits résultant d’une éventuelle sentence favorable), et le contrat aléatoire (rémunération conditionnée au succès de la procédure)[12]. Cette nature hybride explique l’absence de régime juridique spécifique dans la plupart des ordres juridiques.

En droit français, conformément au principe de liberté contractuelle consacré par l’article 1102 du Code civil, les parties sont libres de concevoir un régime contractuel cohérent à partir de régimes fractionnés de divers contrats spéciaux[13]. Cette liberté trouve toutefois ses limites dans le respect de l’ordre public et des bonnes mœurs. Le caractère sui generis du contrat de TPF offre une flexibilité contractuelle appréciable mais génère également une incertitude juridique quant au régime applicable en cas de litige relatif au contrat lui-même[14].

Dans l’espace OHADA, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 2017[15] ne contient aucune disposition explicite relative au financement par des tiers, laissant ainsi un vide juridique que la pratique arbitrale et la doctrine doivent combler par interprétation des principes généraux.

En définitive, la qualification du financement par des tiers comme un contrat sui generis est un reflet de son caractère composite, mêlant financement, gestion d’intérêts et aléa. Si cette qualification garantit aux parties une large liberté contractuelle en droit français (art. 1102 C. civ.) et dans l’espace OHADA, elle est aussi la source d’une incertitude normative majeure. L’absence de régime spécifique impose de naviguer entre les règles des contrats nommés, soulevant la question fondamentale de sa validité au regard des interdictions historiques visant à préserver l’intégrité du procès.

C’est précisément cette nature hybride et l’implication d’un tiers intéressé au succès du litige qui amènent à confronter le TPF aux prohibitions historiques de l’interventionnisme pécuniaire dans le procès, notamment celles du champerty dans la common law et du quota litis en droit civil.

La licéité du financement par des tiers suppose de dépasser les prohibitions historiques du champerty (droit anglo-saxon) et du pacte de quota litis (droit civil), en démontrant que le TPF ne tombe pas sous le coup de ces interdictions[16].

Le champerty désigne historiquement un accord illégal où un tiers finance un procès en échange d’une part des gains obtenus, motivé uniquement par le profit sans intérêt légitime dans l’affaire. Forme aggravée de « maintenance » (soutien injustifié à un procès), le champerty était condamné car il incitait à la subversion de la justice[17]. Cette doctrine, issue de la common law médiévale, a été progressivement abolie ou assouplie dans de nombreuses juridictions.

Au Royaume-Uni, la décision historique Factortame Ltd v. Secretary of State for Transport (1991) a marqué un tournant en admettant la légitimité du financement par des tiers dans certaines circonstances[18]. À Singapour, la Civil Law (Amendment) Act 2017 et les Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017 ont explicitement légalisé et réglementé le TPF en matière d’arbitrage international[19]. Hong Kong a suivi une voie similaire avec l’Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017[20].

Le pacte de quota litis, prohibé en droit français et dans de nombreux systèmes civilistes, désigne une convention interdite où les honoraires d’un avocat dépendent exclusivement du résultat financier obtenu pour son client, sans honoraire de base[21]. Cette prohibition vise à préserver l’indépendance de l’avocat et à éviter qu’il ne soit trop intéressé par le gain au détriment de l’intérêt du client.

Le rapport du Club des juristes de 2014 considère que le financement par des tiers, tel qu’il se pratique en arbitrage international, ne constitue pas un pacte de quota litis prohibé[22]. En effet, le pacte de quota litis concerne la rémunération de l’avocat proportionnelle au résultat du litige, tandis que le TPF implique un tiers distinct qui n’exerce pas la profession d’avocat et ne se substitue pas à celui-ci. Le financeur ne fournit pas de services juridiques mais un financement, ce qui le place en dehors du champ d’application de la prohibition.

DDe plus, l’activité de financement de procès ne constitue pas une opération de crédit au sens du Code monétaire et financier français, et n’entre donc pas dans le champ du monopole bancaire[23]. Le caractère aléatoire de la rémunération du financeur (conditionnée au succès) et l’absence de remboursement en cas d’échec distinguent fondamentalement le TPF du prêt bancaire traditionnel. La confrontation du financement par des tiers avec les interdictions de la champerty et du quota litis révèle une tendance claire vers la légalisation de la pratique, sous réserve d’un encadrement. Alors que les juridictions de common law ont largement assoupli l’interdiction de l’implication d’un tiers dans le contentieux, le droit civil a maintenu une méfiance à l’égard de la rémunération excessivement liée au résultat (quota litis). La licéité du TPF repose donc sur un équilibre délicat : il est désormais admis en tant que technique de financement, mais son mécanisme contractuel (notamment la rémunération du funder) doit être scrupuleusement vérifié pour éviter la fraude à la loi ou le trouble à l’ordre public processuel.

Si l’esprit des interdictions historiques tend à s’estomper face à la reconnaissance de l’utilité du TPF, sa consécration pleine et entière exige de dépasser l’empirisme jurisprudentiel. C’est pourquoi, face à l’incertitude juridique persistante dans de nombreuses juridictions, une clarification législative ou réglementaire apparaît nécessaire pour sécuriser la pratique du financement par des tiers et en définir les contours précis.

Face à l’incertitude juridique persistante dans de nombreuses juridictions, une clarification législative ou réglementaire apparaît nécessaire pour sécuriser la pratique du financement par des tiers[24].

Le rapport du Club des juristes recommande une intervention du législateur français pour exclure expressément du champ du monopole bancaire les sociétés de financement de procès, afin de renforcer la sécurité juridique[25]. L’absence de réglementation spécifique dans des juridictions majeures comme la France contraste avec l’approche adoptée par Singapour et Hong Kong, créant un risque de fragmentation du marché international du financement de l’arbitrage.

Dans l’espace OHADA, l’absence de dispositions spécifiques dans l’Acte uniforme de 2017 relatif au droit de l’arbitrage[26] appelle une clarification, soit par voie de révision de l’Acte uniforme, soit par l’adoption de directives par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), afin d’harmoniser les pratiques dans les dix-sept États membres.

La nécessité d’une intervention normative pour la sécurisation du TPF est aujourd’hui une évidence. L’évolution passe par l’adoption de règles spécifiques relatives, notamment, à la transparence, aux conflits d’intérêts et aux exigences prudentielles. L’expérience de la Common Law, notamment le développement de codes de conduite et l’initiative de l’OHADA de 2017 sur l’arbitrage, indique la voie d’un encadrement pragmatique. À défaut d’un régime juridique autonome, la pratique du TPF continuera d’opérer dans un vide normatif qui expose les parties et le processus arbitral à des risques d’instabilité, faisant de la transparence l’enjeu central de l’évolution du droit. Si le financement par des tiers a su s’affranchir des interdits historiques grâce à sa qualification de contrat sui generis et malgré l’absence d’un régime unifié, son développement soutenu et sa complexité exigent que son rôle ne soit plus seulement considéré sous l’angle de sa validité. L’analyse doit désormais se déplacer de la licéité à l’utilité du TPF.

C’est pourquoi il est impératif d’examiner dans quelle mesure cette technique financière, initialement perçue comme un risque pour l’intégrité du procès, peut être considérée comme un vecteur d’amélioration de l’accès à la justice et, in fine, un outil de bonne administration de la justice.

La reconnaissance de la validité du financement par des tiers (TPF) et sa montée en puissance ont mis en lumière une série de défis éthiques et déontologiques qui menacent l’intégrité de la procédure arbitrale et la confiance dans ses acteurs. L’introduction d’un tiers intéressé rompt l’équilibre traditionnel de la relation avocat-client-juge, imposant de revoir les règles fondamentales de déontologie. Nous analyserons comment le TPF met à l’épreuve :

  • L’indépendance de l’avocat face au tiers financeur, pilier de la relation de confiance et de la défense du client.
  • Le secret professionnel et la confidentialité de l’arbitrage, principes garants de la sécurité et de la discrétion de la procédure.
  • L’Indépendance et l’impartialité des arbitres : la question des conflits d’intérêts, enjeu crucial pour l’exequatur des sentences.

L’intervention d’un tiers financeur dans une procédure arbitrale menace potentiellement l’indépendance de l’avocat, principe cardinal de la déontologie juridique, en créant une relation triangulaire complexe entre le conseil, son client et le financeur[27].

Selon les principes déontologiques fondamentaux, l’avocat doit exercer sa mission en toute indépendance, libre de toute pression extérieure et exclusivement guidé par l’intérêt de son client. Le Barreau de Paris, dans son rapport de février 2017, réaffirme avec force que « l’avocat reste tenu par ses obligations d’assistance, de représentation, de conseil et de loyauté à l’égard de la partie financée, qui demeure son seul client »[28].

Cette exigence d’indépendance se heurte à la réalité économique du TPF : le financeur, qui supporte le risque financier de la procédure et qui rémunère parfois directement l’avocat, peut être tenté d’exercer une influence sur la conduite du litige, notamment en matière de stratégie procédurale, de choix des experts ou de négociation d’un éventuel règlement amiable[29].

L’Ordre des Barreaux Flamands, dans ses recommandations de 2023, va plus loin en prohibant explicitement toute représentation simultanée du financeur et du justiciable par le même avocat : « L’avocat ne peut agir simultanément pour le financeur et pour le justiciable, sans préjudice de l’article 6 du Code de déontologie des avocats (interdiction des conflits d’intérêts) »[30]. Cette prohibition vise à éviter que l’avocat ne se trouve dans une situation de conflit d’intérêts structurel.

Pour préserver l’indépendance de l’avocat, le Barreau de Paris recommande d’établir, dès l’origine de la relation tripartite, « des modalités pratiques, claires et précises, sur la conduite de la procédure », précisant notamment les limites de l’information et de la consultation du financeur, tout en réservant au client le pouvoir de décision final sur les questions stratégiques essentielles[31]. L’indépendance de l’avocat est préservée à la condition que la primauté des intérêts du client soit expressément maintenue et que le pouvoir de décision finale lui soit toujours réservé. Si les ordres professionnels cherchent à encadrer la relation triangulaire, ils doivent également s’assurer que la communication nécessaire à la gestion du financement ne porte pas atteinte à une autre obligation fondamentale de l’avocat : la garde du secret professionnel. En effet, l’accès du financeur aux informations sensibles de l’affaire pose immédiatement la question de la compatibilité du TPF avec le secret professionnel de l’avocat et le caractère confidentiel de l’arbitrage, deux principes essentiels à la sécurité des échanges.

Le financement par des tiers entre en tension avec deux principes essentiels : le secret professionnel de l’avocat et la confidentialité inhérente à la procédure arbitrale[32].

Le secret professionnel constitue un principe fondamental de la profession d’avocat, protégeant les communications entre le conseil et son client contre toute divulgation à des tiers. Or, le fonctionnement pratique du TPF implique généralement que le financeur accède à des informations sensibles sur le litige pour évaluer la viabilité du financement (due diligence), puis pour suivre l’évolution de la procédure[33].

Comme l’analyse le document de la CNUDCI de 2019, « les tiers financeurs ne sont pas nécessairement liés par des obligations de confidentialité, et rien ne leur interdit d’utiliser les informations qui leur sont transmises dans le cadre d’un autre litige faisant l’objet d’un financement »[34]. Cette situation pose un risque sérieux de dissémination d’informations confidentielles.

Le Barreau de Paris adopte une position stricte : « en principe, l’avocat de la partie financée ne peut communiquer directement avec le tiers financeur, quelles que soient les dispositions du contrat de financement… La divulgation au tiers financeur des informations… ne peut donc émaner que du client »[35]. Cette recommandation établit une séparation claire entre l’avocat et le financeur, le client jouant le rôle de filtre.

L’Ordre des Barreaux Flamands confirme cette approche : « L’avocat est tenu au secret professionnel. Il ne transmet aucune information au financier sans l’accord préalable du client. … Même dans ce cas, l’avocat ne fournira que les informations nécessaires à la sauvegarde des intérêts du client »[36].

Au-delà du secret professionnel de l’avocat, la confidentialité de l’arbitrage lui-même est menacée par le TPF. L’intervention d’un financeur tiers, acteur économique extérieur à la relation contractuelle initiale, élargit le cercle des personnes ayant connaissance du différend, fragilisant ainsi cette confidentialité[37]. Pour maintenir l’équilibre entre l’exigence d’information du financeur et la protection des principes fondamentaux, il est impératif de subordonner toute divulgation du dossier à l’accord éclairé et exprès du client, et d’imposer au funder des clauses contractuelles strictes de confidentialité. Néanmoins, le risque de diffusion d’informations ne concerne pas seulement les parties et leurs conseils ; il touche également l’instance elle-même, en soulevant un défi plus fondamental pour l’organe de jugement : l’impartialité des arbitres.

La question de la connaissance et de l’identification du tiers financeur devient alors cruciale, non plus pour les avocats, mais pour les arbitres, dont l’indépendance et l’impartialité sont directement menacées par les potentiels conflits d’intérêts liés au TPF.

La présence d’un tiers financeur dans une procédure arbitrale crée des risques inédits de conflits d’intérêts pour les arbitres, menaçant l’intégrité du processus arbitral et la légitimité des sentences rendues[38].

L’indépendance et l’impartialité des arbitres constituent des principes cardinaux de l’arbitrage international. Selon la Convention de New York de 1958 et la plupart des lois nationales sur l’arbitrage, une sentence peut être annulée si l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre est compromise[39].

Le document de travail de la CNUDCI de 2019 identifie « la question des conflits d’intérêts entre arbitres et tiers financeurs comme l’une des premières à avoir appelé l’attention, du fait de ses incidences potentielles sur le caractère exécutoire des sentences arbitrales et, plus largement, sur l’intégrité du processus arbitral »[40].

Ces conflits d’intérêts peuvent prendre plusieurs formes. Un arbitre peut avoir des liens professionnels ou financiers directs avec le financeur (par exemple, avoir été conseil dans d’autres affaires pour le même financeur). Plus subtilement, le cabinet d’avocats de l’arbitre peut représenter régulièrement des clients du financeur ou avoir lui-même conclu des accords de financement avec la même entité pour d’autres dossiers[41].

La difficulté majeure réside dans le fait que ces conflits potentiels ne peuvent être identifiés et divulgués que si les arbitres et les parties ont connaissance de l’existence et de l’identité du financeur. Or, traditionnellement, les parties n’étaient pas tenues de révéler l’existence d’un financement par un tiers, créant ainsi un angle mort dans le système de prévention des conflits d’intérêts[42].

Les Lignes directrices IBA 2024 sur les conflits d’intérêts en arbitrage international ont considérablement renforcé les obligations de divulgation[43]. La nouvelle version stipule expressément que :

  • Les parties doivent divulguer « toute relation, directe ou indirecte, entre l’arbitre et toute personne ou entité ayant un intérêt économique direct dans la sentence ou une obligation d’indemniser une partie » (General Standard 7(a))[44].
  • Les « tiers financeurs et assureurs peuvent avoir un intérêt économique direct dans la poursuite ou la défense de l’affaire, une influence de contrôle sur une partie, ou une influence sur la conduite de la procédure, y compris la sélection des arbitres » (Explanation to General Standard 6(b))[45].

Dans l’affaire Muhammet Çap & Sehil Inşaat v. Turkmenistan (ICSID Case No. ARB/12/6), le Turkménistan a demandé la récusation d’un arbitre après avoir découvert l’existence d’un financement par un tiers, arguant que l’arbitre aurait dû être informé de cette situation pour évaluer d’éventuels conflits d’intérêts[46].

Cette évolution vers une obligation de divulgation marque un changement de paradigme dans la pratique de l’arbitrage international, traditionnellement attachée à la confidentialité et à l’autonomie des parties[47]. L’obligation de divulgation de l’identité du tiers financeur est devenue la mesure indispensable pour restaurer la confiance dans l’arbitrage et permettre aux arbitres d’exercer pleinement leur devoir d’auto-évaluation de leur impartialité conformément aux Lignes directrices IBA 2024. En définitive, les défis éthiques et déontologiques soulevés par le TPF ne remettent pas en cause sa validité, mais appellent à un renforcement des règles de transparence et de déontologie pour tous les acteurs. La réglementation spontanée issue des ordres professionnels et des institutions arbitrales comble ainsi progressivement le vide législatif, conditionnant l’acceptabilité du TPF à son encadrement strict.

Après avoir établi la validité et les impératifs déontologiques du TPF, il convient d’analyser les incidences concrètes de ce mécanisme sur la dynamique même du litige, en examinant comment le financement par des tiers modifie l’équilibre des forces et influence la gestion des coûts et du risque processuel.

Au-delà des questions de validité juridique et de conformité déontologique, le financement par des tiers produit des effets concrets sur le déroulement des procédures arbitrales. Cette dimension pratique soulève des interrogations majeures quant à l’équité procédurale, à l’allocation des frais d’arbitrage et à la protection des parties adverses (II.A). Face à ces enjeux, la question de l’opportunité et des modalités d’une régulation du TPF se pose avec acuité (II.B).

L’introduction du tiers financeur dans l’équation arbitrale ne se limite pas à un apport de capital ; elle modifie l’équilibre des forces et introduit de nouvelles variables dans la gestion du contentieux, notamment en matière de stratégie, d’allocation des coûts et de protection de la partie adverse. Nous examinerons :

  • L’Influence du financeur sur la conduite de la procédure, source potentielle de conflits d’intérêts stratégiques.
  • L’Allocation des coûts et la récupération des frais de financement, qui mettent à l’épreuve le principe du « loser pays ».
  • La Security for costs et la protection de la partie adverse, mécanisme de rééquilibrage procédural.

L’intervention d’un tiers financeur peut potentiellement influencer la stratégie procédurale et les décisions des parties, notamment en matière de règlement amiable[48].

Le document de la CNUDCI de 2019 identifie « l’influence potentielle du tiers financeur sur la procédure, notamment lors des négociations en vue d’un règlement, en particulier lorsque sa rémunération dépend de l’issue de la procédure »[49] comme une préoccupation majeure.

Cette influence s’explique par la structure économique du financement. Le financeur investit son capital en anticipant un retour sur investissement substantiel, généralement calculé comme un multiple de la somme investie ou un pourcentage des gains obtenus. Cette logique financière peut entrer en conflit avec l’intérêt du client dans trois situations principales[50]:

Premièrement, lors des négociations de règlement amiable, le financeur peut privilégier un règlement rapide garantissant un retour certain, même si ce règlement est sous-optimal du point de vue du client. À l’inverse, il peut refuser un règlement raisonnable si sa formule de rémunération l’incite à miser sur une victoire totale.

Deuxièmement, dans les décisions relatives à la conduite de la procédure (choix des témoins et experts, stratégie d’interrogatoire, ampleur des écritures), le financeur peut exercer une pression pour limiter les coûts ou au contraire pour maximiser les chances de succès, sans que ces choix correspondent nécessairement à l’intérêt du client.

Troisièmement, le financeur peut avoir un intérêt stratégique propre dans l’issue du litige, notamment s’il finance d’autres affaires similaires ou s’il souhaite établir un précédent juridique favorable à son portefeuille d’investissements[51].

Pour limiter ces risques, le Barreau de Paris recommande que « des modalités pratiques, claires et précises, sur la conduite de la procédure » soient établies dès l’origine, réservant au client « le pouvoir de décision final sur les questions stratégiques essentielles »[52]. L’influence du financeur, inhérente à son investissement, représente un risque de dévoiement de l’intérêt du client au profit d’une logique purement financière. La gestion de ce risque passe par une clarté contractuelle maximale dès le contrat de financement, qui doit garantir le maintien du pouvoir de décision final au seul client, limitant ainsi l’impact du funder sur les questions stratégiques essentielles comme le règlement amiable. Toutefois, l’impact le plus direct et le plus quantifiable du TPF se manifeste dans la gestion économique du litige lui-même.

Si le financeur investit pour couvrir les frais, il est légitime de se demander si la rémunération de cet investissement doit être supportée uniquement par la partie financée ou si elle peut être récupérée auprès de la partie adverse perdante, question qui divise la jurisprudence arbitrale.

Le financement par des tiers soulève des questions complexes en matière d’allocation des coûts de l’arbitrage, notamment quant à la possibilité pour la partie financée de récupérer les frais de financement auprès de la partie adverse perdante[53].

En arbitrage international, le principe général veut que la partie perdante supporte les frais de la procédure, incluant les honoraires du tribunal arbitral, les frais administratifs de l’institution arbitrale, et les frais juridiques raisonnables de la partie gagnante (principe du « costs follow the event » ou « loser pays »)[54]. La question se pose de savoir si les frais payés au financeur tiers entrent dans la catégorie des « frais juridiques raisonnables » récupérables.

Deux positions s’opposent. Selon une approche restrictive, les frais de financement ne constituent pas des frais de représentation juridique mais des frais financiers comparables à des intérêts d’emprunt, et ne devraient donc pas être récupérables auprès de la partie adverse[55]. Cette position repose sur l’idée que la décision d’une partie de recourir au TPF relève de ses choix de gestion financière privés.

Selon une approche extensive, les frais de financement doivent être considérés comme une composante des frais d’accès à la justice et devraient donc être récupérables, au moins partiellement, dès lors qu’ils sont raisonnables et nécessaires[56]. Cette position s’appuie sur l’argument que le recours au TPF constitue souvent le seul moyen pour une partie d’accéder à l’arbitrage.

La jurisprudence arbitrale demeure hésitante et casuistique. Dans l’affaire Essar Oilfields Services Limited v. Norscot Rig Management Pvt Limited, le tribunal arbitral a considéré que les frais de financement par un tiers ne constituaient pas des « coûts raisonnables » et a refusé leur récupération[57]. À l’inverse, d’autres tribunaux ont accepté d’inclure tout ou partie de ces frais dans les coûts recouvrables[58].

Cette incertitude jurisprudentielle plaide en faveur d’une clarification normative, soit par les institutions arbitrales dans leurs règlements, soit par les tribunaux dans leurs sentences motivées établissant des principes directeurs. La question de la récupérabilité des frais de financement met en lumière la nature hybride du TPF, à mi-chemin entre frais de justice et frais financiers. L’incertitude jurisprudentielle actuelle, oscillant entre une approche restrictive et une approche extensive, fragilise l’équité procédurale. Une clarification normative est nécessaire pour établir des critères précis permettant aux tribunaux arbitraux de déterminer si ces frais sont raisonnables et nécessaires, sans quoi la partie adverse victorieuse risque d’être condamnée à payer des frais sans lien direct avec la procédure. Ce risque pour la partie adverse justifie le recours à un mécanisme de protection : la security for costs. Dès lors que le financeur échappe à la condamnation aux dépens, le TPF peut créer un déséquilibre entre les parties. C’est pourquoi la protection de la partie adverse est devenue un enjeu majeur, nécessitant l’analyse de la security for costs comme mécanisme de rééquilibrage face au risque d’insolvabilité de la partie financée.

La présence d’un financement par un tiers peut justifier l’octroi d’une ordonnance de security for costs (garantie pour frais) au bénéfice de la partie adverse[59].

La security for costs est une mesure procédurale par laquelle le tribunal arbitral ordonne au demandeur de fournir une garantie financière destinée à couvrir les frais de la partie défenderesse en cas de succès de cette dernière. Traditionnellement, cette mesure était réservée aux situations où le demandeur présentait un risque d’insolvabilité ou était domicilié dans une juridiction rendant difficile l’exécution d’une condamnation en dépens[60].

Avec l’émergence du TPF, certains tribunaux arbitraux ont considéré que l’existence d’un financement par un tiers constituait un facteur pertinent pour l’octroi d’une security for costs, au motif que :

  • Le financeur n’est généralement pas partie à la procédure et ne peut donc être condamné aux dépens[61] ;
  • Les contrats de financement prévoient souvent que le financeur cesse de financer en cas de décision défavorable, laissant le demandeur potentiellement insolvable ;
  • L’existence d’un financement démontre que le demandeur ne dispose pas des ressources propres pour financer la procédure, suggérant un risque accru d’insolvabilité.

Dans l’affaire South American Silver Limited v. Bolivia (PCA Case No. 2013-15), la Bolivie a soulevé la question de l’obligation de divulgation du financement par un tiers, arguant que la non-divulgation violait le principe de bonne foi et pouvait justifier une ordonnance de security for costs[62].

Cependant, cette approche reste controversée. Certains auteurs soutiennent qu’accorder systématiquement une security for costs en présence d’un TPF viderait de sa substance le bénéfice principal du financement, à savoir permettre à des parties aux ressources limitées d’accéder à l’arbitrage[63]. La security for costs constitue le principal rempart procédural contre les conséquences négatives du TPF sur la partie adverse. Si le TPF facilite l’accès à la justice, il ne doit pas créer un risque asymétrique où seule la partie adverse vainqueur serait exposée à l’insolvabilité de la partie financée. Toutefois, l’octroi de cette garantie doit rester exceptionnel et ne pas être systématique, sous peine de vider le TPF de son objet en décourageant l’accès au financement pour les parties aux ressources limitées. En somme, l’impact du TPF sur le déroulement de l’arbitrage exige un arbitrage constant entre l’objectif louable d’accès à la justice et le maintien de l’équité procédurale.

Face aux incertitudes juridiques, aux enjeux éthiques et aux défis procéduraux posés par le TPF, il est devenu indispensable d’analyser les réponses normatives apportées par les États et les institutions. Il convient désormais d’examiner les perspectives réglementaires et l’encadrement normatif du financement par des tiers mis en place ou envisagés à travers le monde.

La nécessité d’un encadrement normatif du TPF est aujourd’hui admise par la communauté arbitrale internationale. Les efforts se concentrent sur la création d’un cadre juridique qui maximise les bénéfices du financement (accès à la justice) tout en minimisant les risques (conflits d’intérêts, influence indue, iniquité procédurale). Nous analyserons :

  • Les Approches nationales : les modèles de Singapour et Hong Kong, qui ont opté pour une législation claire.
  • Les Approches institutionnelles : règlements arbitraux et lignes directrices, qui assurent un encadrement transnational de soft law.
  • Les Perspectives pour l’espace OHADA, qui doit encore combler le vide juridique.
  • Les Recommandations pour un encadrement équilibré, synthétisant les meilleures pratiques.

Les législations de Singapour et Hong Kong, adoptées en 2017, constituent des modèles de référence en matière de régulation du financement par des tiers[64].

À Singapour, la Civil Law (Amendment) Act 2017 et les Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, entrées en vigueur le 1er mars 2017, ont aboli les torts de common law de champerty et maintenance et ont établi un cadre réglementaire complet pour le TPF en arbitrage international et médiation[65]. Les Régulations stipulent que les financeurs éligibles doivent :

  • Exercer comme activité principale le financement de procédures de règlement des différends ;
  • Disposer d’un capital minimum ou d’une assurance professionnelle suffisante ;
  • Respecter des normes de conduite professionnelle, incluant la gestion des conflits d’intérêts.

À Hong Kong, l’Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017 a aboli les délits de champerty et maintenance et a modifié l’Arbitration Ordinance pour autoriser explicitement le TPF dans les arbitrages ayant leur siège à Hong Kong ou, s’ils sont situés à l’étranger, pour le financement de services fournis à Hong Kong[66].

Ces deux modèles partagent plusieurs caractéristiques communes[67] :

  • Abolition explicite des prohibitions historiques du champerty ;
  • Limitation du TPF aux procédures d’arbitrage international et de médiation ;
  • Exigences de qualification professionnelle et de capacité financière pour les financeurs ;
  • Obligation de divulgation de l’existence du financement et de l’identité du financeur ;
  • Préservation du privilège du secret professionnel de l’avocat.

Ces législations ont contribué à faire de Singapour et Hong Kong des places d’arbitrage internationales attractives, offrant un cadre juridique clair et prévisible pour les parties et les financeurs[68]. Les modèles de Singapour et Hong Kong illustrent l’efficacité d’une intervention législative directe qui légalise le TPF tout en lui imposant un cadre strict (exigences de qualification, obligation de divulgation limitée à l’identité). Ces approches ont créé une sécurité juridique qui renforce leur attractivité en tant que places d’arbitrage. Elles démontrent qu’une réglementation claire est possible, même si, en l’absence de lois nationales comparables dans de nombreux États, ce sont les institutions arbitrales qui ont dû prendre le relais. Face à la lenteur du processus législatif étatique, les règlements des institutions d’arbitrage et les instruments de soft law de la communauté professionnelle, comme ceux de la CCI et de l’IBA, se sont imposés comme le véritable moteur de l’encadrement normatif transnational du TPF.

Face à l’absence de régulation nationale dans de nombreuses juridictions, les institutions arbitrales et les organisations professionnelles ont développé leurs propres normes et lignes directrices[69].

Le Règlement d’arbitrage de la CCI de 2021 a introduit à l’article 11(7) une obligation de divulgation : « Chaque partie informe sans tarder le Secrétariat, les autres parties et tout arbitre confirmé ou nommé de l’existence et de l’identité de toute personne non partie qui a conclu un accord de financement avec elle pour l’instance arbitrale et en vertu duquel elle s’est engagée à rembourser, en totalité ou en partie et de manière substantielle, les montants dépensés pour engager et poursuivre l’instance arbitrale »[70].

Cette disposition marque une évolution significative vers la transparence, bien qu’elle se limite à l’identité du financeur sans exiger la divulgation du contenu de l’accord de financement[71].

Le Règlement d’arbitrage ICSID, révisé en 2022, contient à la Rule 14 une disposition similaire imposant la divulgation du nom et de l’adresse de toute personne non-partie finançant l’arbitrage[72]. Cette évolution répond aux préoccupations exprimées lors des travaux du Groupe de travail III de la CNUDCI sur la réforme du règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE)[73].

Les Lignes directrices IBA 2024 sur les conflits d’intérêts, révisées en mai 2024, intègrent désormais explicitement le financement par des tiers dans leur cadre d’analyse des conflits d’intérêts[74]. L’Explanation to General Standard 6(b) précise : « Third-party funders and insurers may have a direct economic interest in the prosecution or defence of the case in dispute, a controlling influence on a party to the arbitration, or influence over the conduct of proceedings, including the selection of arbitrators »[75].

Cette reconnaissance explicite du TPF dans les Lignes directrices IBA, instrument de soft law largement adopté dans la communauté arbitrale internationale, constitue une étape importante vers l’harmonisation des pratiques[76].

Les Guidelines on Third-Party Funding du CIArb (Chartered Institute of Arbitrators), publiées en 2025, fournissent des recommandations pratiques détaillées sur la divulgation, la gestion des conflits d’intérêts et les considérations déontologiques liées au TPF[77]. Ces Guidelines soulignent l’importance d’une divulgation précoce et transparente, tout en respectant la confidentialité des termes commerciaux de l’accord de financement. Les dispositions récentes des règlements de la CCI (Art. 11(7)) et du CIRDI (Rule 14), ainsi que les Lignes directrices IBA 2024, confirment l’émergence d’un standard transnational de soft law : l’obligation de divulgation de l’identité du financeur. Cette approche institutionnelle permet une régulation rapide et flexible qui s’adapte à l’évolution de la pratique. Cependant, l’efficacité de cet encadrement reste limitée dans les juridictions où l’arbitrage est majoritairement ad hoc ou dans les espaces régionaux qui n’ont pas encore intégré ces évolutions, comme celui de l’OHADA. L’absence de disposition explicite dans l’Acte uniforme OHADA de 2017 sur l’arbitrage crée un vide juridique dans un espace économique majeur. Il devient essentiel d’analyser les perspectives réglementaires qui s’offrent à l’espace OHADA pour rattraper son retard et intégrer le TPF dans son cadre juridique.

Dans l’espace OHADA, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 2017 ne contient aucune disposition explicite relative au financement par des tiers[78]. Cette lacune soulève des questions importantes pour les dix-sept États membres, d’autant plus que l’arbitrage OHADA joue un rôle croissant dans le règlement des différends commerciaux en Afrique subsaharienne[79].

Plusieurs options s’offrent aux décideurs de l’OHADA pour encadrer le TPF[80] :

Option 1 : Révision de l’Acte uniforme. Une révision de l’Acte uniforme pourrait introduire des dispositions spécifiques sur le TPF, inspirées des modèles de Singapour et Hong Kong, incluant :

  • Une reconnaissance explicite de la licéité du TPF en arbitrage international ;
  • Des obligations de divulgation de l’existence et de l’identité du financeur ;
  • Des garanties pour préserver l’indépendance des avocats et des arbitres ;
  • Des dispositions sur l’allocation des coûts et la security for costs.

Option 2 : Directives de la CCJA. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait adopter des directives ou recommandations sur le TPF, complétant l’Acte uniforme sans nécessiter sa révision formelle. Ces directives pourraient s’inspirer des Lignes directrices IBA 2024 et des Guidelines du CIArb.

Option 3 : Intégration dans le Règlement d’arbitrage de la CCJA. Le Règlement d’arbitrage de la CCJA pourrait être révisé pour inclure une disposition similaire à l’article 11(7) du Règlement ICC, imposant la divulgation du TPF dans les arbitrages administrés par la CCJA.

Option 4 : Approche graduée. Une combinaison des options ci-dessus, avec une reconnaissance progressive de la pratique accompagnée d’un encadrement normatif adapté aux spécificités du contexte juridique et économique africain.

L’adoption d’un cadre réglementaire clair en matière de TPF dans l’espace OHADA présenterait plusieurs avantages[81] :

  • Renforcer l’attractivité de la CCJA comme centre d’arbitrage régional ;
  • Faciliter l’accès à l’arbitrage pour les PME et les parties aux ressources limitées ;
  • Harmoniser les pratiques entre les États membres ;
  • Prévenir les conflits d’intérêts et protéger l’intégrité du processus arbitral ;
  • Contribuer au développement d’une jurisprudence cohérente sur les questions liées au TPF.

Pour l’espace OHADA, l’adoption d’un cadre réglementaire clair – qu’il passe par la révision de l’Acte uniforme, les Directives de la CCJA ou la modification du Règlement d’arbitrage – est impérative pour renforcer l’attractivité de la région et garantir un accès équitable à l’arbitrage. L’alignement sur les standards internationaux en matière de divulgation permettrait de prévenir les conflits d’intérêts tout en exploitant le TPF comme un levier de développement économique et judiciaire. Cet alignement s’inscrit dans un ensemble plus large de recommandations visant un encadrement global.

L’analyse des modèles nationaux et institutionnels permet de synthétiser les meilleures pratiques. Il est désormais possible de formuler un ensemble de recommandations concrètes et équilibrées visant à assurer la pérennité et l’intégrité du financement par des tiers dans le contentieux international.

Sur la base de l’analyse comparative des différents modèles réglementaires et des enjeux identifiés, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour un encadrement équilibré du financement par des tiers en arbitrage[82] :

Recommandation 1 : Obligation de divulgation. Instaurer une obligation claire de divulgation de l’existence d’un accord de financement et de l’identité du financeur, applicable dès le début de la procédure et de manière continue. Cette divulgation devrait être faite au tribunal arbitral, aux co-arbitres, aux parties adverses et, le cas échéant, à l’institution arbitrale[83].

Recommandation 2 : Limites de la divulgation. La divulgation devrait se limiter à l’existence et à l’identité du financeur, sans exiger la révélation des termes commerciaux de l’accord de financement (montant investi, pourcentage de rémunération), afin de préserver la confidentialité commerciale légitime[84].

Recommandation 3 : Gestion des conflits d’intérêts. Adopter des protocoles stricts pour identifier et gérer les conflits d’intérêts potentiels entre arbitres et financeurs, en s’inspirant des Lignes directrices IBA 2024. Les arbitres devraient avoir l’obligation de vérifier l’existence de liens avec les financeurs divulgués[85].

Recommandation 4 : Protection de l’indépendance de l’avocat. Établir des règles déontologiques claires interdisant :

  • La représentation simultanée du financeur et du client par le même avocat ;
  • L’intérêt financier direct de l’avocat dans le fonds de financement ;
  • La subordination des décisions stratégiques du client aux volontés du financeur[86].

Recommandation 5 : Préservation du secret professionnel. Clarifier que la divulgation d’informations au financeur doit respecter le secret professionnel de l’avocat et que toute transmission d’information doit être autorisée par le client et limitée aux informations strictement nécessaires[87].

Recommendation 6: Encadrement de la security for costs. Établir des principes directeurs pour l’octroi d’une security for costs en présence de TPF, évitant à la fois l’octroi systématique (qui annulerait le bénéfice du financement) et le refus systématique (qui exposerait injustement la partie adverse)[88].

Recommandation 7 : Allocation des coûts. Développer une jurisprudence cohérente sur la récupérabilité des frais de financement, en distinguant entre :

  • Les frais directs d’arbitrage (toujours récupérables) ;
  • Les frais d’avocat (récupérables dans la mesure du raisonnable) ;
  • Les frais de financement proprement dits (à évaluer au cas par cas selon des critères objectifs)[89].

Recommandation 8 : Qualification professionnelle des financeurs. Envisager, à terme, un système de qualification ou d’agrément des financeurs, garantissant leur capacité financière, leur intégrité et leur adhésion à un code de conduite professionnelle[90].

Les recommandations formulées, centrées sur l’obligation de divulgation limitée à l’identité du financeur, le respect strict de l’indépendance de l’avocat et de l’arbitre, et l’encadrement des mécanismes de coûts (récupérabilité, security for costs), dessinent un cadre normatif idéal pour le TPF. Cet ensemble de mesures, combinant hard law (législations nationales) et soft law (règlements institutionnels), est la condition sine qua non pour que le financement par des tiers soit durablement accepté, non pas comme une menace, mais comme un outil performant au service de la justice arbitrale.

L’analyse de l’impact du TPF sur la procédure arbitrale a confirmé que, si le financement par des tiers introduit des risques procéduraux réels (influence stratégique, incertitude sur la récupérabilité des frais, besoin accru de security for costs), ces risques sont largement gérables par un encadrement normatif adéquat. Les modèles législatifs (Singapour/Hong Kong) et les évolutions des règlements institutionnels (CCI/CIRDI) convergent vers un même principe directeur : la transparence contrôlée. Le TPF représente une innovation irréversible et nécessaire pour l’accès à la justice dans un contexte d’arbitrage coûteux. Le défi pour l’avenir est de s’assurer que sa légalisation ne soit pas synonyme d’une commercialisation excessive du procès, mais qu’elle soit subordonnée à la primauté des principes éthiques et déontologiques qui garantissent la confiance dans l’arbitrage international.

Le financement par des tiers en arbitrage international constitue une innovation financière majeure qui répond à un besoin réel d’accès à la justice arbitrale dans un contexte de coûts procéduraux croissants. Cette étude a démontré que, malgré les prohibitions historiques du champerty et du pacte de quota litis, le TPF peut être considéré comme juridiquement légitime dans la mesure où il se distingue fondamentalement de ces pratiques prohibées par sa structure tripartite et sa nature sui generis.

Toutefois, la légitimité juridique du TPF ne saurait occulter les défis déontologiques et procéduraux qu’il soulève. L’analyse a révélé trois tensions fondamentales :

Premièrement, la tension entre l’indépendance professionnelle et l’influence économique. Les avocats et arbitres doivent préserver leur indépendance et leur impartialité tout en évoluant dans un environnement où un tiers financier poursuit des objectifs de rentabilité. Cette tension peut être gérée par des règles déontologiques claires et des mécanismes de divulgation robustes.

Deuxièmement, la tension entre confidentialité et transparence. L’arbitrage repose traditionnellement sur un principe de confidentialité, tandis que la prévention des conflits d’intérêts exige une transparence accrue concernant l’identité des financeurs. L’équilibre doit être trouvé en limitant la divulgation à l’existence et à l’identité du financeur, sans exiger la révélation des termes commerciaux de l’accord.

Troisièmement, la tension entre l’accès à la justice et l’équité procédurale. Le TPF facilite l’accès à l’arbitrage pour les parties aux ressources limitées, mais peut créer un déséquilibre procédural si la partie adverse est exposée à des risques accrus sans protection adéquate. Des mécanismes comme la security for costs, appliqués de manière nuancée, peuvent contribuer à rétablir cet équilibre.

L’analyse comparative des différents modèles réglementaires (Singapour, Hong Kong) et des instruments normatifs récents (Lignes directrices IBA 2024, Règlement ICC 2021, Règlement ICSID 2022, Guidelines CIArb 2025) révèle une convergence progressive vers un consensus international sur certains principes fondamentaux :

  1. Reconnaissance de la licéité du TPF en arbitrage international ;
  2. Obligation de divulgation de l’existence et de l’identité du financeur ;
  3. Prise en compte du TPF dans l’analyse des conflits d’intérêts ;
  4. Protection de l’indépendance des avocats et des arbitres ;
  5. Respect de la confidentialité des termes commerciaux de l’accord de financement.

Pour l’espace OHADA, cette étude plaide en faveur d’une clarification normative progressive, combinant éventuellement une révision de l’Acte uniforme de 2017, l’adoption de directives par la CCJA et la modification du Règlement d’arbitrage de la CCJA. Un tel cadre réglementaire harmonisé contribuerait à renforcer l’attractivité de l’arbitrage OHADA et à faciliter l’accès à la justice pour les opérateurs économiques africains.

En définitive, le financement par des tiers n’est ni une panacée ni une menace existentielle pour l’arbitrage international. C’est un outil financier qui, correctement encadré par des règles transparentes et des principes déontologiques solides, peut contribuer positivement à la démocratisation de l’accès à la justice arbitrale tout en préservant l’intégrité et la légitimité du processus arbitral. L’hypothèse de recherche initiale est donc confirmée : le TPF constitue un mécanisme légitime à condition qu’un cadre normatif approprié soit établi.

Les perspectives de recherche futures pourraient utilement porter sur :

  • L’analyse empirique de l’impact du TPF sur les taux de succès et les montants alloués dans les sentences arbitrales ;
  • L’étude comparative de l’efficacité des différents modèles réglementaires nationaux ;
  • L’analyse de la jurisprudence arbitrale émergente sur l’allocation des coûts de financement ;
  • L’évaluation de l’impact du TPF sur l’équilibre entre pays développés et pays en développement dans l’arbitrage d’investissement.

Par Président OBAMBI Wilfrid Vivien

Magistrat et Conseiller à la Cour d’Appel de Dolisie (Congo). Ancien Juge au Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, il a également exercé la fonction de Président du Tribunal du travail de Pointe-Noire.

Il est par ailleurs Secrétaire adjoint du Réseau Africain des Magistrats de Propriété Intellectuelle (RAMPI), ainsi que Secrétaire chargé des affaires administratives, juridiques et du contentieux du Réseau des Experts en Propriété Intellectuelle du Congo (REPIC).

Enfin, il figure sur la liste des médiateurs neutres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Linkedin : https://linkedin.com/in/wilfrid-vivien-obambi


[1] Gary B. BORN, International Commercial Arbitration, 3e éd., Wolters Kluwer, 2021, pp. 1-45.

[2] Club des juristes, Financement de l’arbitrage par un tiers. Rapport du groupe de travail, février 2014, p. 7.

[3]  Vanina FRIGNATI, « Ethical implications of third-party funding in international arbitration », Arbitration International, vol. 32, n° 3, 2016, p. 506.

[4] Khaled MECHANTAF, Financement de l’arbitrage par un tiers: une approche française et internationale, Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2019, pp. 45-78.

[5] Yihua CHEN, Third-Party Funding in International Arbitration: A Transnational Study of Ethical Implications and Responses, Thèse de doctorat, Université Erasmus de Rotterdam, 2022, pp. 15-32.

[6] Thibault DE BOULLE, Third-Party Funding in International Commercial Arbitration, Mémoire de Master, Université de Gand, 2014, p. 118.

[7]  International Bar Association, IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, approuvées par le Conseil de l’IBA, 25 mai 2024.

[8] Chambre de Commerce Internationale, Règlement d’arbitrage de la CCI, 1er janvier 2021, article 11(7).

[9] ICSID, ICSID Arbitration Rules, en vigueur le 1er juillet 2022, Rule 14.

[10] CNUDCI, Possible reform of investor-State dispute settlement (ISDS): Third-party funding, Document de travail A/CN.9/WG.III/WP.172, 2019.

[11]  Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 12-15.

[12] Ibid., pp. 13-14.

[13] Code civil français, article 1102.

[14] Université de Liège, Le financement par des tiers en arbitrage international, Travail universitaire, 2016-2017, pp. 28-32.

[15]  Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, OHADA, Conakry, 23 novembre 2017.

[16]  Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 95-142.

[17] Robert HOWIE et Garth MOYSA, « Financing disputes: Third-party funding in litigation and arbitration », Alberta Law Review, vol. 57, n° 2, 2019, pp. 492-495.

[18]  Factortame Ltd and Others v. Secretary of State for Transport [1991] 1 AC 603 (House of Lords).

[19]  Civil Law (Amendment) Act 2017, Singapour, Act No. 2 of 2017; Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, S 68/2017.

[20] Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017, Hong Kong, Ordinance No. 6 of 2017.

[21] Barreau de Paris, Le financement par un tiers en matière d’arbitrage – Rapport de la Commission Arbitrage, février 2017, pp. 18-20.

[22] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 16-18.

[23]  Ibid., pp. 19-22.

[24] Ibid., pp. 54-56.

[25] Ibid., p. 55.

[26] Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, op. cit., note 15.

[27]  Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 145-187.

[28] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 28.

[29] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 25-27.

[30] Ordre des Barreaux Flamands, Aanbevelingen over third party funding in arbitragezaken, 2023, p. 7.

[31] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 30.

[32] Vanina FRIGNATI, op. cit., note 3, pp. 515-520.

[33] Université de Liège, op. cit., note 14, pp. 52-58.

[34]  CNUDCI, op. cit., note 10, p. 12.

[35] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 32.

[36] Ordre des Barreaux Flamands, op. cit., note 30, p. 9.

[37] Thibault DE BOULLE, op. cit., note 6, pp. 78-82.

[38] Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 189-245.

[39] Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, 10 juin 1958, article V(1)(d).

[40] CNUDCI, op. cit., note 10, p. 8.

[41] Université de Liège, op. cit., note 14, pp. 62-67.

[42] Kelsie MASSINI, « The Increasing Use of Third Party Funders in International Arbitration », Penn State Journal of Law & International Affairs, vol. 7, n° 1, 2019, pp. 335-340.

[43]  IBA, IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, op. cit., note 7.

[44] Ibid., General Standard 7(a), p. 12.

[45] Ibid., Explanation to General Standard 6(b), p. 11.

[46]  Muhammet Çap & Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. V. Turkmenistan, ICSID Case No. ARB/12/6, Décision sur la compétence, 13 février 2015.

[47]  Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 345-352.

[48] Elena V. SITKAREVA, Yulia A. ARTEMYEVA et Svetlana MENDOSA-MOLINA, « Third-party Funding: Practical, Ethical and Procedural Issues », in Integration and Clustering for Sustainable Economic Growth, Springer, 2019, pp. 188-190.

[49] CNUDCI, op. cit., note 10, p. 14.

[50] Université de Liège, op. cit., note 14, pp. 72-76.

[51]  Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 28-30.

[52] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 30.

[53] Sebastian BATIFORT, Matthew HARWOOD et Chrystalla TRAHANAS, « Third-party funding: security for costs and other key issues », Transnational Dispute Management, vol. 14, n° 5, 2017, pp. 1-3.

[54] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 3645-3702.

[55] Essar Oilfields Services Limited v. Norscot Rig Management Pvt Limited, Award on Costs, 2016, paras. 35-42.

[56] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 8-12.

[57] Essar Oilfields, op. cit., note 55.

[58] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 10-11.

[59] Ibid., pp. 3-8.

[60] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 2948-2965.

[61] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, p. 5.

[62] South American Silver Limited v. Bolivia, PCA Case No. 2013-15, Sentence sur la compétence, 18 novembre 2016, paras. 155-178.

[63] Robert HOWIE et Garth MOYSA, op. cit., note 17, pp. 510-512.

[64] Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 285-328.

[65] Civil Law (Amendment) Act 2017, op. cit., note 19 ; Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, op. cit., note 19.

[66] Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017, op. cit., note 20.

[67] Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 310-325.

[68] Thibault DE BOULLE, op. cit., note 6, pp. 105-112.

[69] Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 247-298.

[70] ICC, Règlement d’arbitrage de la CCI, op. cit., note 8, article 11(7).

[71] Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 352-355.

[72] ICSID, ICSID Arbitration Rules, op. cit., note 9, Rule 14.

[73] CNUDCI, Groupe de travail III, Draft provisions on procedural and cross-cutting issues, Document A/CN.9/WG.III/WP.253, 2023, pp. 28-32.

[74] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, Introduction, paras. 2-3.

[75] Ibid., Explanation to General Standard 6(b), p. 11.

[76] Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 345-357.

[77]  CIArb, Guideline on Third-Party Funding, 2025.

[78] Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, op. cit., note 15.

[79] OHADA, disponible sur : https://www.ohada.org

[80] Analyse développée par l’auteur sur la base des modèles comparatifs étudiés.

[81] Ibid.

[82] Synthèse des recommandations formulées par le Club des juristes, le Barreau de Paris, l’Ordre des Barreaux Flamands et les travaux de la CNUDCI.

[83] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, General Standard 7(a).

[84] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 48-50.

[85] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, Explanation to General Standard 6(b).

[86] Ordre des Barreaux Flamands, op. cit., note 30, pp. 7-10.

[87] Barreau de Paris, op. cit., note 21, pp. 32-35.

[88] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 12-15.

[89] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 3680-3702.

[90] Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017 (Singapour), op. cit., note 19, Regulations 4-6.

Le harcèlement moral et sexuel dans les relations de travail en Côte d’Ivoire : approche juridique et regard comparé.

Le harcèlement en milieu professionnel est aujourd’hui reconnu comme l’une des principales menaces à la santé psychologique, physique et morale du travailleur. Sa prise en compte juridique résulte d’une lente évolution du droit du travail, longtemps centré sur la protection matérielle du salarié (salaire, sécurité, durée du travail), avant d’intégrer la protection de la dignité humaine au travail comme un droit fondamental. Dans le contexte africain et particulièrement ivoirien, cette problématique prend une dimension singulière : elle se situe au croisement des mutations économiques, de la montée du chômage, de la précarisation des emplois et des rapports hiérarchiques souvent marqués par des asymétries de pouvoir. En effet, le harcèlement moral et sexuel ne se limite pas à des comportements isolés : il traduit un déséquilibre structurel dans la relation de travail. Selon l’analyse de Supiot, le pouvoir de direction de l’employeur comporte toujours une potentialité d’abus, d’où la nécessité d’un encadrement juridique strict pour préserver la personne du salarié contre la « tentation du pouvoir disciplinaire illimité »[1]. Cette dérive peut se manifester par des gestes, propos ou attitudes humiliantes, mais aussi par des mesures d’exclusion, d’isolement ou de déstabilisation systématique visant à contraindre le salarié à quitter l’entreprise.

En Côte d’Ivoire, l’émergence de cette question dans le débat juridique et social témoigne d’une prise de conscience progressive. Le législateur ivoirien a consacré la répression du harcèlement moral et sexuel dans le Code du travail de 2015, qui en offre une définition claire et opérationnelle à l’article 5. Cette évolution répond à la nécessité de lutter contre les abus en entreprise, mais aussi d’assurer la conformité du droit ivoirien aux normes internationales, notamment la Convention n° 190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail (2019)[2]. Le harcèlement constitue aujourd’hui un enjeu de santé publique et de gouvernance organisationnelle : il affecte la productivité, altère le climat social, favorise le turn-over, et compromet l’image de l’entreprise. D’un point de vue juridique, il soulève des questions fondamentales : comment concilier la liberté d’organisation de l’entreprise avec la protection de la dignité du travailleur ? Quelle est la frontière entre exigence managériale et abus de pouvoir ? Comment établir la preuve d’un harcèlement dans un contexte de subordination hiérarchique ? Ces interrogations justifient une analyse doctrinale approfondie du dispositif ivoirien.

En effet, l’article 5 du Code du travail ivoirien consacre l’interdiction du harcèlement moral et sexuel comme une règle d’ordre public social. Il définit le harcèlement sexuel comme « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, écrit, attitude ou agissement répété à connotation sexuelle, ayant pour but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers »[3]. Le harcèlement moral, quant à lui, recouvre « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, écrit, attitude ou agissement répété ayant pour objet ou pour effet la dégradation des conditions de travail du salarié, portant atteinte à sa dignité ou compromettant son avenir professionnel »[4]. Ces dispositions marquent une rupture nette avec les textes antérieurs, qui ignoraient encore les risques psychosociaux au travail. Elles visent à prévenir et sanctionner des comportements dégradants, souvent silencieux, qui peuvent avoir des conséquences graves sur la santé mentale et physique des travailleurs. Elles participent d’une dynamique globale de constitutionnalisation des droits fondamentaux au travail, dans le sillage de l’article 4 de la Constitution ivoirienne, qui proclame l’égalité de tous devant la loi sans distinction d’origine, de sexe, de religion ou d’opinion[5]. En outre, le Code du travail rattache cette interdiction à l’obligation générale de sécurité de l’employeur. Comme en droit français, celui-ci est tenu d’assurer la protection de la santé physique et mentale de ses salariés (art. L.4121-1 du Code du travail français). En droit ivoirien, cette obligation découle implicitement des articles 41.1 et suivants relatifs à l’hygiène et la sécurité. La Cour de cassation française, dans un arrêt de principe du 21 juin 2006, a jugé que « l’employeur manque à son obligation de sécurité lorsqu’un salarié est victime de harcèlement moral »[6], une interprétation qui pourrait inspirer la jurisprudence ivoirienne à mesure que les contentieux se développent.

Comme susmentionné, sur le plan comparé, la réglementation ivoirienne se distingue par sa clarté rédactionnelle et sa sobriété. Là où le droit français, influencé par les directives européennes (notamment la Directive 2006/54/CE sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes), tend à multiplier les qualifications, le législateur ivoirien opte pour une formulation plus concise mais tout aussi protectrice. Cette approche présente l’avantage de renforcer la lisibilité de la règle pour les acteurs sociaux et d’éviter les interprétations extensives. Le droit international du travail, à travers la Convention OIT n° 190 et la Recommandation n° 206 (2019), impose aux États de prévenir et d’éliminer toutes formes de violence et de harcèlement dans le monde du travail. Ces normes, adoptées avec le soutien de la Côte d’Ivoire, constituent un cadre de référence universel. Elles élargissent la notion de harcèlement au-delà de la sphère du lieu de travail pour englober toute situation professionnelle où un pouvoir est exercé, y compris dans les formations, les déplacements et les communications électroniques. D’un point de vue scientifique, l’étude du harcèlement en droit ivoirien présente un intérêt majeur. Elle permet de mesurer la capacité d’un système juridique africain à intégrer les standards internationaux tout en conservant ses spécificités socio-culturelles. Comme le souligne Jean Carbonnier, « le droit n’est jamais une mécanique universelle : il épouse les coutumes et les sensibilités des peuples qu’il régit »[7]. Le droit ivoirien du harcèlement illustre parfaitement cette adaptation : il traduit une volonté d’humaniser la relation de travail sans rompre avec les réalités économiques du pays.

Cette étude adopte une approche doctrinale, analytique et comparée. Elle s’appuie sur les sources normatives nationales (Code du travail), la jurisprudence pertinente, ainsi que sur les textes internationaux et européens relatifs à la prévention des violences et discriminations au travail. La méthode retenue consiste à examiner le harcèlement sous un double prisme : celui de la dignité du salarié et celui de la responsabilité de l’employeur. La démarche suivra une logique progressive. La première partie sera consacrée au harcèlement sexuel, envisagé comme une atteinte directe à la dignité du travailleur et à son intégrité morale (I). La seconde analysera le harcèlement moral, forme plus diffuse mais tout aussi destructrice, portant sur la dégradation des conditions de travail et la santé mentale du salarié (II). La troisième partie s’intéressera au cadre juridique ivoirien, à sa portée et à ses limites dans la prévention et la répression des faits de harcèlement (III). Enfin, la dernière partie traitera des sanctions et voies de recours, en interrogeant l’efficacité du dispositif et les perspectives d’évolution jurisprudentielle (IV).

I. Le harcèlement sexuel : une atteinte directe à la dignité du travailleur

Le harcèlement sexuel constitue l’une des formes les plus graves d’atteinte à la dignité du travailleur, car il remet en cause à la fois son intégrité physique, morale et professionnelle. Reconnu comme une faute d’une extrême gravité, il appelle une répression ferme et une vigilance accrue dans le cadre des relations de travail. Pour en cerner pleinement la portée juridique, il convient d’abord d’en rappeler la définition légale ainsi que les éléments constitutifs qui en déterminent la qualification (A), avant d’examiner les conditions dans lesquelles cette qualification est juridiquement établie, notamment à travers la question délicate de la charge de la preuve (B).

L’article 5, alinéa 4, du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, écrit, attitude ou agissement répété à connotation sexuelle, ayant pour but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers »[8]. Cette définition, d’une remarquable précision, met en lumière trois éléments constitutifs fondamentaux : la répétition des agissements, leur connotation sexuelle, et la finalité recherchée par l’auteur.

En premier lieu, le caractère répété des agissements constitue l’un des éléments clefs de la définition. Il s’agit ici de distinguer le harcèlement sexuel d’un acte isolé de nature sexuelle, qui relèverait d’une autre qualification (par exemple, une agression ou une tentative d’abus). Le législateur ivoirien rejoint en cela la conception dominante en droit comparé : en droit français, l’article L.1153-1 du Code du travail exige également la répétition d’actes, propos ou comportements ayant pour objet ou effet d’imposer à une personne des propos ou comportements à connotation sexuelle[9]. Cette exigence vise à caractériser un climat de contrainte ou d’intimidation durable au sein de la relation de travail. Toutefois, la jurisprudence française a parfois admis que des faits isolés mais d’une gravité extrême puissent suffire à constituer un harcèlement sexuel, notamment lorsqu’ils s’accompagnent d’un abus d’autorité ou d’une pression manifeste[10]. Ce glissement jurisprudentiel pourrait inspirer le juge ivoirien, surtout dans les contextes où la relation hiérarchique est marquée par une forte dépendance économique ou sociale du salarié vis-à-vis de l’employeur.

En second lieu, la connotation sexuelle constitue l’élément matériel du harcèlement. Elle peut se manifester sous diverses formes : gestes déplacés, paroles suggestives, insinuations, ou demandes explicites de nature sexuelle. Le droit ivoirien, à l’instar du droit français, ne limite pas le harcèlement sexuel aux seules propositions directes de rapports sexuels. Il englobe aussi des comportements implicites ou des allusions répétées créant un climat hostile, humiliant ou intimidant[11]. Cette conception rejoint la doctrine de Supiot, pour qui le harcèlement sexuel est une « violation de la dignité du salarié dans ce qu’elle a de plus intime : le respect de son corps et de sa volonté »[12]. Elle s’aligne également sur les principes énoncés par la Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, selon laquelle « le harcèlement sexuel doit être considéré comme une discrimination fondée sur le sexe », imposant aux États membres de le prohiber explicitement[13]. Le caractère subjectif de la connotation sexuelle rend la qualification complexe : elle suppose une appréciation du contexte, de l’intention et de la perception du salarié. Le juge doit donc évaluer si les propos ou gestes, même anodins en apparence, ont eu pour effet de porter atteinte à la dignité du travailleur. Cette approche, centrée sur l’effet ressenti plutôt que sur l’intention, est désormais dominante dans la jurisprudence comparée[14].

En dernier lieu, le texte ivoirien mentionne expressément que les comportements doivent avoir pour « but d’obtenir des faveurs sexuelles à son profit ou au profit d’un tiers ». Ce critère distingue le harcèlement sexuel d’autres formes de comportements déplacés. Il met en exergue la dimension intentionnelle de l’acte : l’auteur agit dans le dessein d’obtenir un avantage d’ordre sexuel, souvent en abusant de sa position hiérarchique ou de son autorité professionnelle. Cependant, la jurisprudence française a progressivement admis que l’absence d’intention de nuire ne suffit pas à exclure la qualification de harcèlement, dès lors que les faits ont objectivement créé un climat intimidant ou humiliant[15]. Il est probable que le juge ivoirien, confronté à des situations analogues, adopte une approche similaire, privilégiant la protection du salarié sur la démonstration d’une intention explicite.

Ainsi, la définition ivoirienne du harcèlement sexuel, bien que concise, se révèle d’une portée protectrice considérable. Elle combine les exigences du droit comparé tout en intégrant des spécificités adaptées au contexte socioculturel national.

Le harcèlement sexuel peut être appréhendé sous un double angle juridique : celui du droit disciplinaire et celui du droit civil. D’un point de vue disciplinaire, il constitue une faute grave justifiant le licenciement immédiat de son auteur, sans préavis ni indemnité. En effet, un tel comportement est incompatible avec la relation de confiance nécessaire au contrat de travail. Le juge ivoirien, à l’instar de la Cour de cassation française, pourrait qualifier ces faits de « manquement à l’obligation de respect due à ses collaborateurs »[16]. Sur le plan civil, le harcèlement engage la responsabilité de l’employeur au titre de son obligation générale de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés. En droit ivoirien, bien que cette obligation ne soit pas expressément formulée dans les mêmes termes que l’article L.4121-1 du Code du travail français, elle découle implicitement des articles relatifs à la sécurité et à la dignité au travail. Dès lors, l’employeur peut voir sa responsabilité engagée, même s’il n’est pas l’auteur direct du harcèlement, dès lors qu’il a toléré ou ignoré des comportements abusifs au sein de son entreprise[17]. Cette logique protectrice découle d’une jurisprudence bien établie en France : dans un arrêt du 27 octobre 2004, la Cour de cassation a jugé qu’« un employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs »[18]. Cette position, reprise par la doctrine (Lhernould, Despax), a contribué à renforcer la prévention du harcèlement comme une composante essentielle du management éthique de l’entreprise[19].

Par ailleurs, la preuve du harcèlement sexuel demeure l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre effective de la protection légale. Les faits se déroulent souvent sans témoin, dans un cadre hiérarchique fermé, et le salarié craint des représailles. Conscient de cette difficulté, le droit comparé et notamment le droit européen a introduit un aménagement de la charge de la preuve, repris en France à l’article L.1154-1 du Code du travail, selon lequel « le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement », et il appartient alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement[20]. Bien que le droit ivoirien ne contienne pas encore une disposition similaire, la jurisprudence pourrait, par analogie, adopter une telle solution. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé dans l’arrêt Danosa (2010) que l’efficacité du droit à la non-discrimination exige que la victime ne supporte pas seule la charge de la preuve[21]. Ce principe de facilitation probatoire est également consacré par l’article 9 de la Convention OIT n° 190, qui impose aux États d’adopter des mécanismes de preuve adaptés à la réalité des victimes de harcèlement[22]. Dans le contexte ivoirien, l’aménagement de la preuve apparaît indispensable pour garantir une effectivité réelle du droit. Comme le souligne Lhernould, « la force du droit du travail ne se mesure pas seulement à la rigueur de ses interdictions, mais à la possibilité pour le salarié d’en obtenir l’application »[23]. L’adoption d’une telle approche permettrait d’équilibrer le rapport de force entre employeur et salarié, et de renforcer la confiance dans les institutions judiciaires du travail.

II. Le harcèlement moral : une violence insidieuse et destructrice

À la différence du harcèlement sexuel, le harcèlement moral se distingue par sa nature sournoise et progressive, rendant souvent sa détection et sa répression plus difficiles. Il s’agit d’une forme de violence psychologique qui altère profondément les conditions de travail et compromet la santé physique et mentale du salarié. Afin d’en mesurer toute la gravité, il convient d’abord d’en préciser la définition légale ainsi que les éléments permettant sa caractérisation au regard du droit du travail (A), avant d’examiner les conséquences concrètes qu’il entraîne sur la santé du travailleur et la responsabilité juridique qui en découle pour l’employeur (B).

L’article 5, alinéa 3, du Code du travail ivoirien définit le harcèlement moral comme « les comportements abusifs, menaces, attaques, paroles, intimidations, écrits, attitudes, agissements répétés à l’encontre d’un salarié, ayant pour objet ou pour effet la dégradation de ses conditions de travail et qui, comme tels, sont susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »[24]. Cette disposition est d’une portée considérable : elle s’inscrit dans la continuité des réformes sociales engagées en Côte d’Ivoire depuis le Code du travail de 2015, tout en intégrant les enseignements du droit comparé et des sciences humaines sur la souffrance au travail.

Deux éléments se dégagent de la lettre de la loi : la répétition des comportements et leurs effets délétères sur le salarié. Le législateur ivoirien, suivant l’exemple français (loi du 17 janvier 2002, dite « loi de modernisation sociale »[25]), a entendu sanctionner des comportements réitérés, souvent diffus, dont la violence psychologique s’inscrit dans la durée. Le harcèlement moral se distingue ici de la simple tension professionnelle ou du conflit ponctuel : il suppose une stratégie de déstabilisation ou de mise à l’écart du salarié. Cette approche, directement inspirée des travaux pionniers de la psychiatre Hirigoyen, conçoit le harcèlement comme un processus destructeur visant à miner l’équilibre psychologique du travailleur[26]. Selon elle, « le harcèlement moral se manifeste par des comportements répétés qui, isolés, peuvent sembler anodins, mais qui, dans leur accumulation, détruisent progressivement la victime »[27]. Le droit ivoirien traduit ainsi dans le texte une réalité psychologique complexe, en reconnaissant que la violence morale peut être silencieuse, invisible, mais profondément destructrice. Sur le plan juridique, ces agissements se matérialisent par des humiliations, des critiques répétées, une surcharge de travail injustifiée, une mise à l’écart, ou encore un retrait des missions. Dans l’arrêt Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321, la Cour de cassation française a qualifié de harcèlement moral des agissements consistant à priver un salarié de moyens matériels, à le dénigrer et à le marginaliser[28]. Une telle analyse pourrait être transposée dans le contexte ivoirien, où la hiérarchie est parfois utilisée comme instrument d’intimidation, notamment dans les structures administratives.

Le texte ivoirien, en reprenant la formule « ayant pour objet ou pour effet », intègre une approche objective du harcèlement moral : il n’est pas nécessaire que l’auteur ait voulu nuire, il suffit que ses comportements aient eu pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié. Cette orientation rejoint la doctrine de Supiot, pour qui « le harcèlement moral traduit une dérive managériale où l’individu cesse d’être un sujet de droit pour devenir un simple instrument de production »[29]. Les manifestations du harcèlement moral sont multiples. On peut en distinguer quatre types principaux :

  • le management abusif, caractérisé par une pression excessive, des reproches incessants ou des ordres contradictoires ;
  • l’isolement professionnel, consistant à exclure le salarié des réunions, à l’isoler de ses collègues ou à ignorer ses contributions ;
  • la surcharge de travail, ou à l’inverse, la privation de tâches, utilisées comme formes de sanction déguisée ;
  • les humiliations et atteintes à la dignité, par des propos dénigrants, des moqueries ou une mise en doute systématique des compétences.

Ces comportements, souvent anodins pris isolément, constituent, lorsqu’ils s’inscrivent dans la durée, une véritable violence institutionnelle. Comme l’explique Lhernould, « le harcèlement moral illustre la transformation de la subordination en domination, lorsque le pouvoir hiérarchique échappe à toute rationalité économique pour devenir un instrument d’humiliation »[30]. La définition ivoirienne s’inscrit donc dans une conception moderne du droit du travail, qui reconnaît le travailleur non seulement comme un agent économique, mais aussi comme un être psychologique et social dont la dignité et la santé mentale doivent être protégées.

Le harcèlement moral, en dégradant les conditions de travail, produit des effets pathogènes avérés : troubles du sommeil, anxiété, dépression, burn-out, voire dans les cas extrêmes, suicide professionnel. Ces conséquences font du harcèlement une question de santé publique et de sécurité au travail. En droit ivoirien, cette dimension est implicitement encadrée par les articles 41.1 et suivants du Code du travail, relatifs à l’hygiène et à la sécurité. Ces textes imposent à l’employeur une obligation générale de prévention des risques professionnels, incluant les risques psychosociaux. Ce principe s’aligne sur le modèle français, où la Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 21 juin 2006 (n° 05-43.914), a affirmé que l’employeur est tenu d’une « obligation de sécurité de résultat » en matière de santé au travail[31]. Cette obligation de prévention ne se limite pas à une simple réaction en cas de plainte. Elle implique une action proactive : formation du personnel, mécanismes de signalement, enquêtes internes et politiques de tolérance zéro. Dans l’arrêt CJUE, 19 avril 2012, aff. C-415/10, Meister, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que les États doivent garantir aux victimes de harcèlement un cadre procédural effectif pour faire valoir leurs droits[32]. Ces principes, bien que d’origine européenne, inspirent progressivement les réformes africaines du travail, notamment en Côte d’Ivoire, qui cherche à renforcer le rôle de l’Inspection du travail dans la prévention du harcèlement.

De même, le harcèlement moral a des répercussions directes sur la relation de travail : il conduit souvent à des arrêts maladie, à une inaptitude temporaire ou définitive, voire à la rupture du contrat. En France, la jurisprudence considère que lorsque le harcèlement a entraîné une dégradation de la santé, tout licenciement ultérieur pour inaptitude est nul[33]. Une telle logique pourrait être transposée dans le droit ivoirien, où l’article 18.3 du Code du travail encadre déjà la rupture du contrat en cas d’incapacité prolongée. Cette articulation entre harcèlement et inaptitude traduit un cercle vicieux : le salarié victime, affaibli psychologiquement, se trouve dans l’impossibilité de reprendre son emploi, tandis que l’employeur peut tenter de justifier une rupture pour motif médical. Il appartient alors au juge d’examiner la cause réelle de la rupture : si l’inaptitude découle directement d’un harcèlement moral, l’employeur engage sa responsabilité civile et le licenciement doit être requalifié en licenciement abusif. La responsabilité disciplinaire de l’auteur du harcèlement s’ajoute à celle de l’employeur. Ce dernier doit sanctionner tout comportement déviant constaté dans son entreprise. L’inaction équivaut à une faute in vigilando. Comme le souligne Despax, « le silence de l’employeur face à la souffrance au travail est en lui-même générateur de responsabilité »[34].

Ainsi, la lutte contre le harcèlement moral en droit ivoirien dépasse la seule répression : elle impose une culture de prévention, d’écoute et de vigilance au sein des entreprises. Cette mutation culturelle est essentielle pour faire du lieu de travail un espace de respect, de performance et de dignité.

III. Le cadre juridique ivoirien : fondement, portée et limites

La reconnaissance légale du harcèlement moral et sexuel par le Code du travail ivoirien de 2025 marque une avancée majeure dans la protection des travailleurs contre les violences psychologiques et les atteintes à la dignité en milieu professionnel. Toutefois, si la norme existe, sa mise en œuvre demeure confrontée à des limites structurelles, institutionnelles et culturelles. L’article 5 du Code du travail pose une base juridique solide, mais l’absence de mécanismes internes obligatoires, de structures référentes et de dispositifs de prévention formalisés dans les entreprises limite encore la portée pratique de ce texte. La présente partie vise à analyser, d’une part, la portée et les lacunes du cadre législatif ivoirien en matière de prévention (A), et, d’autre part, le rôle des institutions chargées de son application et les perspectives d’amélioration du système (B).

L’article 5 du Code du travail ivoirien constitue le fondement du dispositif de lutte contre le harcèlement. Il consacre expressément les notions de harcèlement moral et sexuel, en précisant leurs éléments constitutifs et en érigeant leur interdiction au rang de principe d’ordre public social. Ce texte, en imposant à l’employeur un devoir de vigilance, introduit une obligation implicite de prévention des comportements déviants au sein de l’entreprise. En cela, il s’aligne sur le principe fondamental posé par l’article 41.1 du même code, qui exige de l’employeur qu’il garantisse des conditions de travail conformes aux exigences de sécurité, de santé et de dignité. Toutefois, contrairement au droit français, le droit ivoirien n’impose pas la mise en place de procédures internes obligatoires pour prévenir le harcèlement, telles que la désignation d’un référent, la création d’un registre des plaintes ou l’obligation d’enquête interne en cas de signalement. Cette absence fragilise la portée préventive du dispositif.  En comparaison, la loi française du 5 septembre 2018 (loi « Avenir professionnel ») a rendu obligatoire la désignation d’un référent harcèlement dans les entreprises de plus de 250 salariés, et a imposé aux comités sociaux et économiques (CSE) de jouer un rôle actif dans la prévention[35]. Cette mesure vise à instaurer une vigilance permanente, en favorisant une culture de prévention plutôt qu’une réaction postérieure à la survenance du dommage. Le législateur ivoirien pourrait s’inspirer de cette expérience pour combler le vide normatif et renforcer la protection des travailleurs, en instituant des mécanismes internes de signalement et d’enquête.

L’absence de référent interne, de formations obligatoires sur les comportements à risque ou de procédure d’enquête crée un décalage entre la norme et la pratique. La majorité des entreprises ivoiriennes, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), ne disposent pas de services juridiques ou de ressources humaines suffisamment formées pour gérer ces situations. Selon une étude menée par le Ministère de l’Emploi et de la Protection sociale (rapport 2022 sur la santé au travail), plus de 78 % des travailleurs interrogés déclarent ne pas connaître les voies de recours internes en cas de harcèlement[36]. Ce chiffre témoigne du déficit d’information et de sensibilisation sur la question, mais aussi du poids des représentations sociales : beaucoup de victimes perçoivent le harcèlement comme un « abus normal » lié à la hiérarchie, plutôt que comme une violation de leurs droits fondamentaux. En outre, la Recommandation n° 206 de l’OIT (2019) insiste pourtant sur l’importance des mesures préventives à plusieurs niveaux : établissement de politiques nationales, adoption de codes de conduite en entreprise, mécanismes confidentiels de plainte et programmes de formation. La Côte d’Ivoire, bien qu’ayant ratifié la Convention OIT n° 190, n’a pas encore mis en place l’ensemble de ces mesures. Cette lacune est d’autant plus préoccupante que le harcèlement moral et sexuel est souvent sous-déclaré : la peur de représailles, la honte, la dépendance économique et la méfiance à l’égard des institutions dissuadent les victimes d’agir. Le système actuel repose encore essentiellement sur la dénonciation individuelle, sans soutien institutionnel fort.

Ainsi, la législation ivoirienne, bien qu’innovante dans sa formulation, demeure fragile dans sa mise en œuvre pratique. Elle gagnerait à être consolidée par des dispositifs de prévention systématiques, notamment la formation des cadres, la sensibilisation du personnel et la mise en place de cellules d’écoute.

Le principal organe chargé de veiller à l’application des dispositions sur le harcèlement est l’Inspection du Travail et des Lois Sociales. En vertu des articles 91.3 et suivants du Code du travail, l’Inspecteur du travail a pour mission de contrôler les conditions d’exécution du travail, de veiller au respect des droits fondamentaux du salarié et de concilier les parties en cas de conflit individuel. En matière de harcèlement, son rôle est principalement préventif et conciliateur : il peut recevoir les plaintes, mener des enquêtes, entendre les témoins et recommander des mesures correctives à l’employeur. Cependant, ses moyens d’action demeurent limités. L’Inspection ne dispose ni de pouvoir de sanction autonome ni de ressources suffisantes pour intervenir dans l’ensemble du tissu économique national. Une étude interne du Ministère de la Fonction publique et de l’Emploi (Rapport 2018-2022) montre que sur 143 cas de harcèlement signalés à l’Inspection du Travail d’Abidjan, seuls 29 dossiers ont abouti à des médiations formelles, et à peine 12 ont été transmis à la juridiction compétente[37]. Cette statistique met en lumière le faible taux de traitement effectif des plaintes et la nécessité de renforcer la capacité opérationnelle de cette institution.

Quant aux juridictions sociales, elles demeurent le dernier rempart. Le juge du travail peut reconnaître le caractère abusif d’un licenciement consécutif à un harcèlement, condamner l’employeur à des dommages-intérêts, voire, dans certains cas, prononcer la nullité du licenciement. Toutefois, le manque de jurisprudence publiée en Côte d’Ivoire sur cette question limite encore la construction d’un véritable droit prétorien du harcèlement. Là encore, le modèle français et européen peut servir d’inspiration. La jurisprudence de la Cour de cassation française (arrêt du 10 nov. 2009 précité) et celle de la CJUE (aff. C-54/07, Feryn) insistent sur le devoir d’enquête et la responsabilité de l’employeur dès lors qu’un harcèlement est signalé[38]. Ces standards pourraient être transposés dans la pratique ivoirienne pour rendre l’action administrative plus effective.

En plus, les organisations syndicales ont un rôle à jouer dans la prévention et la dénonciation du harcèlement. L’article 51.1 et suivants du Code du travail leur confère la mission de défendre les droits et intérêts professionnels des travailleurs. Cependant, dans les faits, les syndicats ivoiriens interviennent rarement sur les questions de harcèlement, souvent perçues comme relevant de la sphère privée ou de la gestion interne de l’entreprise. Cette inertie s’explique par le manque de formation syndicale sur les questions psychosociales et par l’absence de mécanismes institutionnalisés de dialogue social autour de ces problématiques. Comme le rappelle Rodière, « la lutte contre le harcèlement ne peut être efficace que si elle est intégrée à la culture collective de prévention, au même titre que la sécurité physique »[39]. Dans plusieurs pays de la sous-région, des avancées intéressantes ont été observées : au Sénégal, par exemple, certaines conventions collectives sectorielles incluent désormais des clauses de prévention du harcèlement et de médiation interne[40]. La Côte d’Ivoire pourrait suivre cette voie en incitant les partenaires sociaux à négocier des accords d’entreprise ou de branche intégrant la prévention des violences psychologiques et sexuelles au travail.

Pour rendre le dispositif plus opérationnel, plusieurs pistes peuvent être envisagées :

  • Renforcer les pouvoirs de l’Inspection du travail, en lui conférant la possibilité d’imposer des sanctions administratives immédiates en cas de manquement grave.
  • Créer un Observatoire national du harcèlement au travail, chargé de collecter les données, d’analyser les tendances et de formuler des recommandations.
  • Former les magistrats et inspecteurs aux mécanismes de preuve en matière de harcèlement moral et sexuel, afin d’harmoniser les pratiques judiciaires.
  • Instituer un référent obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés, sur le modèle français, et introduire des procédures internes confidentielles.

Ces réformes contribueraient à ancrer durablement la lutte contre le harcèlement dans la culture juridique et managériale ivoirienne, en transformant la norme légale en réalité vécue.

IV. Sanctions et voies de recours : vers une effectivité du droit

L’effectivité d’un dispositif juridique ne se mesure pas uniquement à la qualité de sa rédaction ou à la clarté de ses principes, mais à la réalité de sa mise en œuvre et à la capacité du système judiciaire à en garantir le respect. En matière de harcèlement moral et sexuel, la norme ivoirienne, bien que conforme aux standards internationaux, ne saurait atteindre sa pleine efficacité sans des sanctions dissuasives et des voies de recours accessibles. Le législateur ivoirien a ainsi prévu une graduation des sanctions disciplinaires, civiles et pénales tout en offrant aux victimes des recours multiples devant l’administration du travail et les juridictions sociales. Cependant, les défis liés à la preuve, à la lenteur judiciaire et au déficit de sensibilisation des acteurs limitent encore la portée pratique du dispositif.

Le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, constitue une faute lourde justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis ni indemnité. En vertu des articles 18.15 et 18.16 du Code du travail ivoirien, toute faute grave portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’un salarié est susceptible d’entraîner un licenciement disciplinaire[41]. Cette sanction traduit la volonté du législateur de protéger la moralité du milieu professionnel et d’affirmer que la dignité humaine prime sur les impératifs économiques. Le juge du travail ivoirien, à l’instar de la Cour de cassation française, pourrait considérer que le harcèlement constitue un manquement à l’obligation de loyauté et de respect entre collègues ou envers les subordonnés[42]. Ainsi, l’employeur se trouve doublement responsable : il doit sanctionner l’auteur du harcèlement sous peine d’engager sa propre responsabilité pour inaction fautive, et il doit veiller à la réintégration ou à l’indemnisation de la victime. Cette exigence rejoint la logique de la jurisprudence française, notamment l’arrêt Cass. soc., 27 octobre 2004, qui consacre l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur[43].

Outre la sanction disciplinaire, la victime peut obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice subi. Les articles 18.15 et 18.16 du Code du travail précisent que toute rupture abusive du contrat ouvre droit à réparation. Dans le cas d’un harcèlement, cette réparation doit couvrir le préjudice moral, mais aussi les conséquences économiques (arrêt de travail, perte de salaire, atteinte à la carrière). Le juge apprécie souverainement le montant des dommages-intérêts, en tenant compte de la gravité des faits et de la position hiérarchique du harceleur. En France, la jurisprudence admet même une indemnisation spécifique pour les souffrances psychiques engendrées par le harcèlement, distincte de l’indemnité de licenciement[44]. En Côte d’Ivoire, l’absence de barème contraignant laisse au juge du travail une marge d’appréciation utile, mais expose à un risque d’inégalité de traitement entre victimes. D’où la nécessité, pour l’avenir, d’une harmonisation des pratiques judiciaires par des lignes directrices émanant du Conseil supérieur de la magistrature ou du Ministère de la Justice.

Le harcèlement sexuel est également sanctionné sur le plan pénal par les articles 114, 115, 130, 417 et 418 du Code pénal ivoirien. Ces dispositions consacrent la dimension criminelle du harcèlement sexuel, qui dépasse le cadre professionnel pour relever de la protection pénale de la dignité humaine. Le cumul des sanctions disciplinaires et pénales est donc possible : la faute disciplinaire sanctionne le manquement contractuel, tandis que la peine pénale vise la protection de l’ordre public. Le harcèlement moral, en revanche, n’est pas encore érigé en infraction autonome dans le Code pénal ivoirien. Cette lacune, déjà soulignée par plusieurs auteurs, pourrait être comblée à l’avenir par une réforme inspirée du Code pénal français (art. 222-33-2), qui réprime depuis 2002 le harcèlement moral au travail.

En France, les articles L.1155-2 et L.1155-3 du Code du travail prévoient des amendes et des peines d’emprisonnement en cas de harcèlement, renforcées par la loi du 6 août 2012. Au Canada, le Code canadien du travail (art. 125) impose à l’employeur une obligation stricte de prévention, et les commissions des droits de la personne peuvent ordonner des compensations financières importantes. Au Sénégal, le Code du travail prévoit également le licenciement immédiat du harceleur et la possibilité pour la victime d’obtenir des réparations civiles. Cependant, comme en Côte d’Ivoire, le harcèlement moral n’est pas encore incriminé pénalement, bien qu’il fasse l’objet de sanctions disciplinaires internes.

Cette comparaison révèle une tendance régionale : si la norme existe, l’effectivité dépend de la volonté institutionnelle et de la formation des acteurs du droit à ces questions nouvelles.

La première voie de recours offerte à la victime est administrative. Conformément au Code du travail, la victime peut saisir l’Inspection du Travail, qui dispose de compétences de conciliation et d’enquête. L’Inspecteur du Travail peut convoquer les parties, recueillir les témoignages et recommander des mesures de réintégration ou de réparation. Cependant, cette voie reste non contraignante : l’Inspection ne peut imposer de sanctions pécuniaires ni ordonner la réintégration du salarié. Elle joue un rôle de médiation, utile pour désamorcer les conflits mais insuffisant lorsque le harcèlement a causé un préjudice grave. Selon le Rapport du Ministère de la Fonction publique (2018-2022), à peine 10 % des dossiers de harcèlement soumis à l’Inspection aboutissent à une conciliation effective. Une réforme pourrait conférer à l’Inspection un pouvoir d’injonction en cas de manquement avéré, à l’image du modèle canadien, où les inspecteurs peuvent imposer la cessation immédiate d’un comportement harcelant.

Le recours juridictionnel demeure le moyen le plus structuré de faire reconnaître la violation. Les victimes peuvent saisir le Tribunal du Travail compétent pour demander la nullité du licenciement, la réintégration ou la réparation intégrale du préjudice moral et matériel. Les décisions rendues peuvent être attaquées devant la Cour d’Appel puis la Cour de Cassation. Même si la jurisprudence ivoirienne reste embryonnaire, quelques décisions illustrent une évolution prometteuse. Dans une décision du Tribunal du Travail d’Abidjan (2021), un employeur a été condamné à 10 millions de F CFA de dommages-intérêts pour harcèlement moral, le juge ayant retenu la dégradation volontaire des conditions de travail d’une salariée enceinte. Cette affaire, largement commentée par la doctrine, marque une prise de conscience judiciaire progressive. La jurisprudence comparée africaine renforce cette tendance : au Sénégal, la Cour suprême (arrêt du 23 mai 2019) a confirmé la nullité d’un licenciement fondé sur la dénonciation de faits de harcèlement ; au Maroc, la Cour de cassation (arrêt n° 721/2018) a imposé à l’employeur une obligation renforcée de prévention. Ces décisions convergent vers une reconnaissance continentale du harcèlement comme atteinte à la dignité constitutionnellement protégée.

L’avenir du contentieux du harcèlement repose sur la capacité des juges à construire un droit prétorien cohérent. La loi, aussi claire soit-elle, ne peut suffire si elle n’est pas accompagnée d’une interprétation protectrice. Comme le rappelle Alain Supiot, « la justice sociale est la traduction jurisprudentielle de la dignité humaine dans les relations de travail »[45]. La Côte d’Ivoire dispose d’un potentiel considérable : son système judiciaire, structuré autour des tribunaux du travail, permet une proximité avec les justiciables. En favorisant la formation des magistrats, en publiant régulièrement les décisions et en encourageant les recours, le pays pourrait devenir un modèle régional de justice sociale fondée sur la dignité et le respect des personnes.

Le principal mérite du dispositif ivoirien réside dans la clarté de la définition légale du harcèlement moral et sexuel (art. 5 C. trav.), qui s’aligne sur les standards internationaux. Il traduit une volonté de protection du salarié contre les violences invisibles du monde du travail. Toutefois, ce texte, bien que normativement complet, reste juridiquement orphelin d’un ensemble de mécanismes procéduraux et institutionnels indispensables à sa pleine application. L’absence d’un référent harcèlement, de procédures internes de signalement, ou encore d’une typification pénale du harcèlement moral, fragilise le dispositif. De même, la faiblesse des moyens alloués à l’Inspection du travail, la rareté des décisions publiées des tribunaux du travail et la méconnaissance du phénomène par les acteurs sociaux freinent l’émergence d’une véritable culture de prévention. Ce constat rejoint la doctrine d’Alain Supiot, pour qui « une règle n’a de valeur que par la réalité des institutions capables d’en assurer l’application ». Le droit ivoirien du harcèlement apparaît donc fort dans le principe, mais fragile dans la pratique.

Les défis à relever se situent à trois niveaux : la prévention, la preuve et la culture d’entreprise. Sur le plan préventif, le système ivoirien doit évoluer d’une logique réactive à une approche proactive. Cela suppose la mise en place d’une politique nationale de santé au travail intégrant les risques psychosociaux et le harcèlement comme priorités. Des programmes de formation destinés aux employeurs, aux cadres et aux délégués syndicaux sont indispensables pour créer une culture organisationnelle fondée sur le respect et la bienveillance. Sur le plan probatoire, la difficulté à démontrer les faits de harcèlement demeure l’obstacle majeur. L’aménagement de la charge de la preuve à l’image du modèle français depuis la loi du 17 janvier 2002 permettrait de mieux protéger les victimes sans compromettre les droits de la défense. Enfin, sur le plan culturel, il s’agit de transformer la perception du harcèlement dans les entreprises ivoiriennes. Trop souvent, ces comportements sont banalisés ou dissimulés sous couvert de « management ferme ». La lutte contre le harcèlement exige une révolution des mentalités, où la performance économique s’accorde avec la dignité humaine. Comme le souligne Marie-France Hirigoyen, « le harcèlement ne prospère que dans les organisations où la peur et le silence remplacent la confiance et la parole ».

L’avenir du droit ivoirien du travail passe par la construction d’une politique intégrée de santé au travail, articulant la prévention des risques physiques et psychiques. Cette approche globale, prônée par l’OIT à travers la Convention n° 190 et la Recommandation n° 206, suppose la coopération entre le Ministère de l’Emploi, les syndicats, les organisations patronales et la société civile. Le respect de la dignité en entreprise doit devenir une valeur managériale, un indicateur de gouvernance et un critère de responsabilité sociale. La création d’un Observatoire national du harcèlement au travail, la formation continue des magistrats et la publication systématique des décisions judiciaires renforceraient la visibilité et la crédibilité du dispositif. En définitive, la lutte contre le harcèlement moral et sexuel ne se limite pas à une question de droit, mais constitue un enjeu civilisationnel : celui de bâtir un environnement de travail où la productivité se conjugue avec le respect de la personne humaine.

La Côte d’Ivoire, en affirmant sa volonté de promouvoir la dignité au travail, trace la voie d’un modèle africain de justice sociale fondé sur la prévention, la responsabilité et la solidarité.


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Me Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.

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[1] A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 2015, p. 83.

[2] OIT, Convention n°190 et Recommandation n°206 sur la violence et le harcèlement, Genève, 2019.

[3] Code du travail ivoirien, 2015, art. 5, al. 4.

[4] Ibidd., art. 5, al. 3.

[5] Constitution de la République de Côte d’Ivoire, 2016, art. 4.

[6] Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, Bull. civ. V, n° 214.

[7] J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 2022, p. 52.

[8] Ibid.

[9] Code du travail français, art. L.1153-1.

[10] Cass. crim., 11 juin 2019, n°18-83.160, Bull. crim. n°155.

[11] Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, 5 juill. 2006.

[12] A. Supiot, Op. cit., p. 83.

[13] Directive 2006/54/CE

[14] Cass. soc., 17 mai 2005, n°03-44.055.

[15] Cass. soc., 19 oct. 2011, n°09-68.272.

[16] Cass. soc., 27 oct. 2004, n°03-44.812.

[17] M. Despax, Droit du travail, PUF, 2001, 128 p.

[18] Cass. soc., 27 oct. 2004, précité.

[19] J.-P. Lhernould, Droit du travail : Relations individuelles, Edito, 2003, p. 289.

[20] Code du travail français, art. L.1154-1.

[21] CJUE, 11 nov. 2010, Danosa, aff. C-232/09.

[22] OIT, Convention n°190 sur la violence et le harcèlement, 2019, art. 9.

[23] J.-P. Lhernould, Op. cit., p. 297.

[24] Ibidd., art. 5, al. 3.

[25] Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002, JO République française.

[26] M.-F. Hirigoyen, Le harcèlement moral de la violence perverse au quotidien, Syros, 1998, p. 24.

[27] M.-F. Hirigoyen, Op. cit., p. 37.

[28] Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321.

[29] A. Supiot, Op. cit., p. 92.

[30] J.-P. Lhernould, Op. cit., p. 302.

[31] Cass. soc., 21 juin 2006, n°05-43.914, Bull. civ. V, n°214.

[32] CJUE, 19 avr. 2012, Meister, aff. C-415/10.

[33] CJUE, 19 avr. 2012, Meister, aff. C-415/10.

[34] M. Despax, Droit du travail, PUF, 2001, 128 p.

[35] Loi française n°2018-771 du 5 septembre 2018, JO République française, art. L.1153-5 et L.1153-6.

[36] Ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, Rapport sur la santé au travail en Côte d’Ivoire, Abidjan, 2022, 23 p.

[37] Ministère de la Fonction publique et de l’Emploi, Rapport sur le traitement des plaintes liées au harcèlement moral et sexuel (2018-2022), Abidjan, 2023.

[38] CJUE, 10 juill. 2008, Feryn, aff. C-54/07.

[39] P. Rodière, Droit social de l’Union Européenne, LGDJ, 2022, p. 231.

[40] Convention collective interprofessionnelle, Sénégal, 2019, art. 21.

[41] Code du travail ivoirien, 2015, art. 18.15 & 18.16.

[42] Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321.

[43] Cass. soc., 27 oct. 2004, n°03-44.812.

[44] Cass. soc., 3 févr. 2010, n°08-45.331.

[45] A. Supiot, Op. cit., p. 117.

La propriété intellectuelle à l’ère numérique en Afrique : défis et solutions stratégiques

À l’heure où l’économie numérique transforme radicalement les modèles de création et de diffusion des contenus, les systèmes de propriété intellectuelle en Afrique, notamment au sein de l’espace OAPI, font face à des défis sans précédent. Cet article analyse les lacunes réglementaires actuelles, les menaces spécifiques pesant sur la création africaine et propose des solutions concrètes pour sécuriser les droits des créateurs à l’ère du digital.

In the context of the digital economy fundamentally reshaping content creation and distribution models, intellectual property systems in Africa, particularly within the African Intellectual Property Organization (OAPI) framework, are confronted with unprecedented challenges. This article critically examines the existing regulatory gaps and the specific threats facing African creative works in the evolving digital environment. It further proposes targeted recommendations to enhance the protection and enforcement of intellectual property rights, thereby supporting the sustainable development of creativity on the continent.

Mots-clés : Droit d’auteur numérique, cybersquatting, blockchain, smart contracts,  noms de domaine.

La révolution numérique bouleverse les paradigmes traditionnels de la propriété intellectuelle (PI). Dans l’espace de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), regroupant 17 pays africains francophones[1], les créateurs et entrepreneurs évoluent dans un environnement juridique souvent inadapté aux réalités numériques transfrontalières. L’Accord de Bangui révisé en 2015, bien qu’entré en vigueur en 2020, ne prévoit pas de régime dédié aux noms de domaine[2], créant une insécurité juridique majeure face à la digitalisation croissante des entreprises africaines.

Dans ce contexte, la Stratégie de Transformation Numérique de l’Union africaine (2020-2030) ambitionne un marché numérique unique[3], conditionnant la compétitivité de l’innovation et la captation de valeur par les créateurs africains. Entre absence d’harmonisation, multiplication des contrefaçons en ligne et obsolescence des mécanismes de protection, une réforme urgente s’impose pour permettre une protection efficace des droits intellectuels en Afrique. Présentation générale. Cet article portera sur la propriété intellectuelle à l’ère du numérique, en se concentrant sur les nouveaux défis rencontrés par les créateurs africains, notamment les jeunes entrepreneurs, juristes, porteurs de projets et innovateurs. Il paraît opportun de circonscrire certaines comme la propriété intellectuelle (PI) qui peut être comprise comme l’ensemble des droits exclusifs accordés sur les créations de l’esprit (œuvres artistiques, inventions, marques, etc.). L’économie numérique s’entend quant à elle à toute activité économique fondée sur les technologies de l’information et de la communication. Deux autres notions méritent d’être précisées dans le cadre de cette étude, d’une part le cybersquatting qui renvoie à l’enregistrement abusif de noms de domaine dans le but d’en tirer profit, en violation des droits de propriété intellectuelle préexistants. D’autre part, il la Blockchain et les smart contracts qui sont technologies permettant une sécurisation et une automatisation des droits numériques.

L’Afrique a vu une expansion rapide de l’utilisation des technologies numériques, mais les cadres juridiques régionaux, notamment via l’OAPI, peinent à s’adapter à ces innovations. Une meilleure compréhension de la PI à l’ère du numérique est cruciale pour permettre aux créateurs africains de protéger leurs innovations et de participer pleinement à cette nouvelle économie mondiale. Comment les jeunes créateurs et porteurs de projets africains peuvent-ils comprendre, anticiper et sécuriser leurs droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique dans un cadre juridique encore en évolution ? Une adaptation ciblée des cadres législatifs et l’utilisation des technologies innovantes peuvent offrir des solutions efficaces aux défis actuels de protection des droits numériques en Afrique.Equiper les jeunes acteurs africains du numérique des connaissances pratiques pour protéger leurs créations et anticiper les risques liés à la propriété intellectuelle ne serait pas anodin. Dans le cadre de cette étude, il s’agira d’identifier les principaux défis de la PI numérique en Afrique, d’expliquer les droits applicables aux créations numériques et en de proposer des stratégies et outils concrets pour sécuriser les projets innovants.Le développement s’articulera autour de deux grandes parties : les défis contemporains de la propriété intellectuelle à l’ère numérique (I) ainsi que les clés pour comprendre et sécuriser ses droits dans cet environnement digital (II).

Abordons tout d’abord les défis contemporains de la propriété intellectuelle à l’ère numérique, défis qui soulignent la nécessité d’une réforme profonde. Pour commencer, en premier lieu, abordons tout d’abord le décalage du cadre juridique avec la réalité numérique.

Attardons-nous sur le premier défi structurel : Un cadre juridique en décalage avec la réalité numérique. Ce constat s’illustre, en premier lieu, par l’absence d’harmonisation réglementaire efficace au sein de l’espace OAPI.

L’analyse comparative des textes OAPI et des besoins réels issus des pratiques numériques africaines révèle un fossé préoccupant. Dans l’espace OAPI, aucune réglementation spécifique n’a encore été consacrée aux noms de domaine, bien qu’on puisse trouver çà et là des règles nationales, régionales ou internationales susceptibles d’adresser certains aspects de cette matière[4]. Cette absence d’harmonisation crée une insécurité juridique majeure pour les créateurs et entrepreneurs africains qui évoluent dans un environnement numérique transfrontalier.

Le cadre législatif traditionnel ne répond pas aux réalités actuelles telles que la diffusion en ligne, le streaming et les ventes numériques. La coexistence difficile entre le régime de droit d’auteur et celui de la propriété industrielle ajoute des zones grises propices aux abus. Le régime du droit d’auteur, par sa nature personnaliste, tend à favoriser l’auteur, tandis que le régime de la propriété industrielle vise plutôt à inciter les entreprises à investir dans la recherche[5]. Cette dualité ne concilie pas les mêmes intérêts et génère des zones grises, notamment concernant la titularité des créations intellectuelles des salariés, où la dépendance juridique et économique peut être source d’abus et de marginalisation.

Il est donc clair que cette lacune réglementaire OAPI génère un vide juridique préjudiciable aux acteurs du numérique. De plus, dans le prolongement de ce qui précède, il faut noter l’inadaptation des législations traditionnelles face aux nouveaux modes de diffusion.

Les lois nationales ou régionales sur le droit d’auteur doivent être régulièrement revues pour relever les défis des nouvelles technologies[6]. L’avènement des réseaux numériques et d’Internet entraîne des bouleversements dont les répercussions se font sentir non seulement au niveau de la création des contenus mis en ligne, mais aussi sur la question des droits applicables.

Les transformations induites par Internet et les réseaux numériques, telles que la désintermédiation et la dématérialisation, rendent difficile le contrôle de l’utilisation des œuvres par les auteurs[7]. De plus, l’illusion du « libre accès » favorise la violation systématique des droits d’auteur. Internet est fréquemment perçu comme un espace où tout est accessible sans contrainte, remettant en cause l’équilibre entre l’intérêt des auteurs et le droit du public à accéder à la culture.

L’émergence de modèles économiques novateurs (streaming, abonnement, freemium, premium) n’est pas encore pleinement encadrée juridiquement dans l’espace OAPI[8]. Les traités Internet de l’OMPI (WCT/WPPT) encadrent la protection à l’ère digitale, notamment concernant les mesures techniques de protection, l’information sur le régime des droits, les programmes d’ordinateur et les bases de données[9], mais la transposition effective et l’articulation avec les usages contemporains restent inégales. Cette incomplétude normative fragilise l’équilibre entre l’accès du public et les droits des auteurs, et contribue à la dilution des redevances sur des plateformes à gouvernance extra-régionale.

Ainsi, face à la désintermédiation et aux modèles économiques émergents, l’obsolescence des textes traditionnels est avérée. Enfin, il convient d’évoquer également une menace spécifique et grandissante : le cybersquatting, une menace insuffisamment sanctionnée.

Le cybersquatting se définit comme l’enregistrement intentionnel d’un nom de domaine reproduisant une marque utilisée par un tiers, dans le but d’empêcher le propriétaire légitime d’établir un site web identifié par un nom de domaine identique[10]. Les objectifs sont multiples : générer des clics publicitaires, revendre le nom de domaine au plus offrant, ou vendre des produits similaires.

Le cybersquatting peut prendre différentes formes :

  • Utilisation d’une extension différente (exemple : www.jumya.cm au lieu de www.jumia.com)
  • Ajout d’une faute de frappe intentionnelle (typosquatting)
  • Ajout d’un pluriel (www.jumias.cm)
  • Séparation des mots par tirets
  • Inversion des mots
  • Le cybersquatting est difficilement sanctionné dans l’espace OAPI, notamment du fait de l’absence d’une procédure accélérée et indemnisatrice comparable à l’UDRP applicable aux gTLD[11]. Le système des noms de domaine repose sur la règle du « Premier arrivé, premier servi », ce qui entraîne inévitablement des conflits avec les droits antérieurs (marques, noms commerciaux). De plus, le nom de domaine, bien que reconnu comme signe distinctif, n’est pas assimilé juridiquement à une marque et ne bénéficie ni des principes de spécialité ni de territorialité des marques[12].

Les mécanismes de résolution existants présentent des limites importantes :

La procédure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) de l’ICANN ne vise que certains noms de domaine génériques (.com, .net, .org) et ne permet pas d’indemnisation pécuniaire, ce qui limite l’effet dissuasif face aux comportements opportunistes[13].

Pour les ccTLD (country-code top-level domains), des politiques locales existent (exemple : Cameroun .cm géré par l’ANTIC) avec des régimes et prestataires variables, pouvant créer des brèches de typosquatting et de parasitisme selon l’extension ciblée[14].

Cette lacune nuit gravement à la reconnaissance et à la valorisation des marques africaines en ligne. La juxtaposition du principe « premier arrivé, premier servi » et des droits antérieurs de marque appelle une procédure OAPI inspirée de l’UDRP, complétée par des voies indemnitaires et des mesures conservatoires adaptées à l’environnement numérique.

En conclusion de cette première partie, l’absence d’un mécanisme indemnitaire adéquat fait du cybersquatting une menace persistante contre l’identité numérique des marques africaines. L’examen de ces multiples contraintes et vulnérabilités met en lumière la complexité du paysage et la nécessité impérieuse de moderniser le droit de la PI.

Au-delà des limites structurelles du cadre juridique, passons maintenant à l’analyse des menaces spécifiques à la création africaine dans le digital. En ce sens, le premier risque identifié est la vulnérabilité face aux contrefaçons facilitées par les plateformes en ligne.

1. Vulnérabilité face aux contrefaçons facilitées par les plateformes en ligne

Internet a créé des capacités prodigieuses de stockage, de diffusion et de récupération des informations, mais dans le même temps, les possibilités de contrefaçon des œuvres protégées se sont largement développées[15]. La mondialisation des échanges commerciaux et le développement des nouvelles technologies ont conduit à un accroissement inévitable de la contrefaçon sur Internet et à une difficulté accrue d’appréhension de celle-ci.

La diffusion rapide et souvent éphémère des contenus sur Internet complique l’identification des contrefacteurs. La difficulté majeure réside dans la matérialisation des actes de contrefaçon commis en ligne[16]. L’exemple des « ventes flash » témoigne de ces difficultés : l’auteur de l’offre contrefaisante est extrêmement difficile à identifier avant que l’offre ne disparaisse.

La responsabilité limitée des intermédiaires techniques (hébergeurs, fournisseurs d’accès) freine les actions en contrefaçon et la suppression des contenus illicites[17]. Les fournisseurs d’accès et les hébergeurs bénéficient d’un régime favorable de responsabilité : ils ne sont pas responsables des contenus dont ils permettent l’accès et ne sont pas tenus d’une obligation générale de surveillance. Cette exemption limite considérablement la capacité des titulaires de droits à obtenir des réparations rapides et efficaces.

Les difficultés juridiques transfrontalières compliquent encore la situation. Déterminer la loi applicable en cas de contrefaçon est complexe, car les actes peuvent impliquer plusieurs pays simultanément[18]. La règle de la focalisation (application de la loi du pays où la protection est réclamée) implique des analyses détaillées et coûteuses pour chaque cas.

L’impact économique de la contrefaçon numérique en Afrique est considérable : elle impacte gravement la rémunération des artistes et développeurs, créant des pertes financières substantielles et décourageant l’innovation locale[19].

En somme, la contrefaçon en ligne, compliquée par la difficulté de matérialisation et le régime des intermédiaires, impacte gravement la chaîne de valeur créative africaine. De surcroît, il est nécessaire de souligner les limites des systèmes actuels de gestion collective.

Les sociétés de gestion collective peinent à s’adapter aux nouvelles technologies numériques, notamment pour la collecte transfrontalière des droits en streaming[20]. Les systèmes actuels de gestion collective sont limités et mal adaptés à un contexte de globalisation numérique. La rupture du contrôle des œuvres due à la désintermédiation et à la dématérialisation rend difficile le contrôle de l’utilisation et de la distribution des œuvres par les auteurs.

L’interopérabilité des sociétés de gestion avec les grandes plateformes et les schémas de micro-rémunération demeure insuffisante, ce qui freine la collecte transfrontalière en régime de streaming[21]. Une plateforme régionale de gestion collective numérique interopérable avec les grandes plateformes internationales serait un levier stratégique pour améliorer la transparence et la rémunération[22]. Des outils numériques OAPI (horodatage, dépôts électroniques et reporting standardisé) et des accords techniques régionaux pourraient améliorer la répartition et la transparence des flux. En conclusion, l’insuffisante interopérabilité des OGC constitue un frein majeur à la juste rémunération des auteurs à l’ère du streaming. Pour illustrer ces difficultés de manière concrète, prenons l’exemple pratique : la protection insuffisante des droits d’auteur.

Un cas concret illustre ces défaillances : un musicien africain victime de streaming illégal sur des plateformes internationales subit une perte financière aggravée par l’absence de contrepartie ou de recours juridique rapide[23]. Les œuvres circulent librement sur Internet sans autorisation, générant des revenus substantiels pour les plateformes mais rien pour les créateurs originaux.

Les problèmes de gestion des exceptions au droit d’auteur se posent également : des actes tels que la reproduction provisoire, le « caching », le « browsing » ou le « text and data mining » peuvent porter atteinte aux droits d’auteur et nécessitent des adaptations législatives pour préserver l’équilibre entre créateurs et utilisateurs[24]. Certains pays comme la France ont mis en place des mécanismes (HADOPI) dont l’efficacité fait débat, mais aucun système similaire n’existe dans l’espace OAPI, laissant les créateurs africains particulièrement vulnérables.

Cet exemple pratique vient clore cette analyse des menaces et confirme l’urgence d’établir des mécanismes de recours et de protection efficaces dans l’espace OAPI. Pour conclure la section B, ces vulnérabilités prouvent que la création africaine est exposée à un risque systémique qui nécessite des solutions ciblées et régionales.

Face à ces défis, il est essentiel d’examiner les clés pour comprendre et sécuriser ses droits dans l’environnement digital. Commençons par la Compréhension des droits et des mécanismes de protection adaptés.

Cette compréhension passe par la distinction des Droits fondamentaux : droit d’auteur, marques, brevets et noms de domaine.

Précisons d’abord l’application du droit d’auteur à l’ère numérique.

a) Le droit d’auteur à l’ère numérique

Le droit d’auteur protège les créations littéraires et artistiques. Dans le contexte numérique, il doit garantir les intérêts légitimes des auteurs sans frustrer un public toujours plus nombreux, avide d’accéder aux connaissances[25]. Les réalités de l’utilisation des contenus culturels se trouvent radicalement bouleversées : ce qui aurait été payé pour l’acquisition de l’œuvre prend désormais la forme du prix de l’accès et de l’utilisation.

Les traités OMPI (WCT/WPPT) renforcent la protection à l’ère digitale en consacrant la protection des œuvres numériques et en renforçant l’effectivité des droits, impliquant pour les auteurs OAPI de valoriser les mesures techniques et l’information sur la gestion des droits[26].

En somme, le droit d’auteur doit concilier la protection des œuvres avec les nouveaux modèles d’accès et d’utilisation en ligne. Intéressons-nous ensuite aux marques et aux noms de domaine.

b) Les marques et les noms de domaine

Le nom de domaine est devenu, avec le développement du commerce électronique, une composante fondamentale de la stratégie des entreprises, constituant l’enseigne virtuelle du marchand sur Internet[27]. Il permet, au même titre que les signes traditionnels de l’entreprise, d’attirer la clientèle et est doté d’une valeur économique considérable.

Les marques s’articulent avec les noms de domaine, mais les procédures diffèrent selon les extensions (gTLD/ccTLD)[28], d’où l’intérêt d’une stratégie multi-extensions et d’une veille UDRP/ccTLD coordonnée. La gestion coordonnée des marques et noms de domaine, combinée à une politique interne de R&D et confidentialité, est essentielle pour la valorisation des actifs intellectuels.

Ainsi, une stratégie multi-extensions et une veille coordonnée sont essentielles pour protéger l’identité virtuelle de l’entreprise. Enfin, terminons cette revue par l’examen des brevets et de la propriété industrielle.

c) Les brevets et la propriété industrielle

Le régime de la propriété industrielle vise à inciter les entreprises à investir dans la recherche. L’Accord de Bangui encadre la propriété industrielle et la titularité des inventions de salariés[29], à intégrer dans des politiques internes de R&D et de confidentialité. Pour les inventions réalisées par des salariés, la primauté revient majoritairement à l’employeur pour les inventions réalisées dans le cadre d’une mission confiée ou en utilisant des moyens de l’entreprise.

En conclusion, les dispositifs relatifs aux brevets nécessitent l’intégration de politiques internes de R&D pour sécuriser la titularité des inventions de salariés. Ces distinctions sont la base d’une gouvernance PI solide et adaptée aux réalités économiques du numérique. Au-delà du cadre juridique, il convient d’analyser les innovations technologiques comme leviers de sécurisation.

Citons d’abord l’usage de la blockchain pour preuve de paternité.

a) La blockchain pour preuve de paternité

La blockchain offre une preuve immuable de paternité des œuvres, résistante à la falsification[30]. Cette technologie peut servir à établir de manière incontestable et horodatée la paternité d’une création intellectuelle, créant une preuve immuable utile pour démontrer la paternité et l’intégrité des œuvres à faible coût. Cette avancée majeure permet aux créateurs africains de prouver l’antériorité de leurs créations sans dépendre exclusivement d’organismes officiels.

L’utilisation de la blockchain assure une preuve d’antériorité et d’intégrité précieuse pour le créateur. Ensuite, de même nature, les smart contracts pour gestion automatisée des droits constituent une avancée majeure.

b) Smart contracts pour gestion automatisée des droits

Les smart contracts automatisent la gestion des droits et des redevances[31]. Les contrats intelligents permettent une gestion automatisée des droits de propriété intellectuelle, notamment pour :

  • Le versement automatique des redevances dès qu’une œuvre est utilisée ;
  • La gestion décentralisée des licences ;
  • Le suivi transparent et en temps réel des utilisations ;
  • L’application automatique des conditions contractuelles sans intervention humaine.

Cette distribution automatisée des redevances et la gestion transparente des licences facilitent la monétisation granulaire sur des plateformes ou des places de marché.

Les smart contracts permettent une monétisation plus transparente et dynamique des droits d’utilisation. Enfin, un dernier outil clé est la signature électronique et la certification.

c) Signature électronique et certification

La signature électronique sécurisée permet de garantir l’intégrité des transactions numériques[32]. Le contrat électronique est sécurisé par la signature électronique sécurisée et l’attribution de certificats par un tiers de confiance. La signature électronique qualifiée a trois fonctions essentielles :

  • Identification de la personne dont elle émane ;
  • Certification de l’origine et de l’intégrité des documents ;
  • Manifestation du consentement aux obligations contractuelles.

Les lois nationales (Sénégal[33], Cameroun) ont adopté le principe de l’équivalence fonctionnelle, assimilant parfaitement l’écrit électronique à l’écrit traditionnel, facilitant ainsi les transactions numériques sécurisées. La signature électronique, reconnue dans plusieurs pays africains, fonde la validité des contrats numériques et l’intégrité documentaire dans des transactions transfrontalières.

Grâce au principe de l’équivalence fonctionnelle, la signature électronique garantit la validité et l’intégrité des engagements numériques. Il apparaît que les avancées technologiques offrent des outils probatoires et contractuels puissants pour pallier les faiblesses du cadre traditionnel. Afin de concrétiser ces principes, il est nécessaire d’évoquer l’Application concrète : dépôts électroniques et traçabilité.

L’horodatage des œuvres et l’usage de tiers de confiance pour certifier les échanges renforcent la chaîne de preuve indispensable en cas de litige[34]. La mise en place de dépôts électroniques avec horodatage, lettres recommandées électroniques et recours à des tiers de confiance renforce la chaîne de preuve.

Les technologies numériques permettent désormais d’effectuer des dépôts électroniques auprès des organismes de gestion collective ou des offices de propriété intellectuelle, avec horodatage et certification garantissant la date de création. Les outils numériques pour la traçabilité incluent :

  • Utilisation de lettres recommandées électroniques avec valeur juridique ;
  • Recours à des tiers de confiance pour authentifier l’envoi/réception de documents ;
  • Cartographie numérique des actifs intellectuels de l’entreprise ;
  • Logiciels dédiés pour gérer et suivre les titres de propriété intellectuelle ;
  • Cartographies numériques d’actifs et registres internes participent à une gouvernance efficace[35].

 Des cartographies d’actifs immatériels et des registres internes des titres améliorent la gouvernance PI et la préparation aux due diligences. L’objectif est d’aligner les pratiques d’entreprise sur les standards régionaux et internationaux pour fluidifier la preuve et les recours.

L’alignement des pratiques de dépôts sur les standards numériques (horodatage, certification) est donc crucial en matière probatoire.

Tournons-nous à présent vers les Stratégies concrètes pour anticiper et gérer les risques. La gestion des risques commence par la Prévention du cybersquatting par une veille active.

À cet égard, il est indispensable de mener un enregistrement stratégique des noms de domaine.

a) Enregistrement stratégique des noms de domaine

Une veille stratégique associée à un enregistrement proactif des extensions principales et variantes limite l’exposition aux typosquattings[36]. Une stratégie proactive d’enregistrement des noms de domaine est essentielle pour toute entreprise présente en ligne :

  • Enregistrer les principales extensions (.com, .net, .org, extensions géographiques pertinentes comme .cm, .sn, .ci) ;
  • Anticiper les variantes (avec/sans tirets, pluriels, fautes de frappe courantes) ;
  • Surveiller les enregistrements susceptibles de créer confusion avec votre marque ;
  • Effectuer la déclaration des noms de domaine au registre du commerce et des sociétés.

L’enregistrement défensif des principales extensions et variantes, combiné à une surveillance des dépôts et du WHOIS, réduit l’exposition au typosquatting et au domain tasting. Le recours à l’UDRP pour les gTLD et aux politiques nationales pour les ccTLD (ex. .cm/ANTIC) doit être planifié contractuellement et budgétairement.

Cette stratégie proactive réduit l’exposition et permet de mieux contrôler son identité numérique. De plus, il est crucial de compléter cette stratégie par la création d’une procédure OAPI de résolution des litiges.

b) Création d’une procédure OAPI de résolution des litiges

La création d’une procédure OAPI inspirée de l’UDRP, avec des sanctions dissuasives, est recommandée[37]. Une convergence OAPI-registries pour une procédure régionale inspirée de l’UDRP renforcerait l’effet dissuasif. La coopération entre OAPI, registres ccTLD et OMPI (services UDRP/ADR) peut instaurer des filières spécialisées et des barèmes raisonnés, favorisant l’accès des PME-créateurs[38].

Seule une procédure régionale dissuasive permettra d’apporter une réponse rapide et indemnisatrice au cybersquatting. Au-delà du cybersquatting, il est impératif d’utiliser des technologies émergentes et de bonnes pratiques. La combinaison de l’enregistrement stratégique et d’une résolution de litige efficace est la meilleure parade contre les atteintes à l’identité numérique. Au-delà du cybersquatting, il est impératif d’utiliser des technologies émergentes et de bonnes pratiques.

La première bonne pratique est la gestion dynamique du capital intellectuel.

a) Gestion dynamique du capital intellectuel

L’investissement dans le capital intellectuel joue un rôle important dans les chaînes de valeur mondiales[39]. Dans de nombreux pays de l’OCDE, l’investissement des entreprises dans le capital intellectuel augmente plus rapidement que l’investissement dans le capital physique, témoignant de la transition vers une économie de la connaissance. Les entreprises des économies de la connaissance investissent massivement dans le capital intellectuel, facteur reconnu de performance et de compétitivité[40].

Les bonnes pratiques organisationnelles incluent :

  • Établir une fonction de directeur des actifs intellectuels relevant directement de la haute direction ;
  • Créer un IP Office et formaliser une IP Policy (politique écrite de gestion de la PI) ;
  • Former tous les salariés à la culture de la propriété intellectuelle ;
  • Recenser systématiquement toutes les créations (déclaration obligatoire des innovations) ;
  • Aligner la stratégie de PI sur la stratégie globale de l’entreprise.

L’alignement stratégie PI/stratégie d’entreprise conditionne la captation de valeur sur les marchés numériques[41].

L’alignement de la stratégie PI sur la stratégie globale est la clé de la compétitivité des entreprises. En outre, il ne faut pas négliger la veille technologique et juridique active.

b) Veille technologique et juridique active

Les entreprises qui connaissent un succès mondial ont adopté des stratégies de propriété intellectuelle particulièrement sophistiquées. Cette stratégie devient de plus en plus importante dans l’économie du savoir, mondialisée et dématérialisée[42]. La veille doit inclure :

  • Surveillance permanente de l’environnement concurrentiel ;
  • Cartographie des brevets et études de liberté d’exploitation ;
  • Travail en réseau et participation à des écosystèmes innovants ;
  • Suivi de l’évolution réglementaire aux niveaux national, régional et international.

Cette veille est un facteur critique de succès dans un environnement réglementaire et technologique en mutation constante. Ces pratiques, notamment la gestion dynamique du capital intellectuel, sont essentielles pour capturer la valeur dans l’économie de la connaissance. Terminons cette section par l’examen de la gestion contractuelle rigoureuse.

Examinons les spécificités des contrats internationaux de transfert de technologie.

a) Contrats internationaux de transfert de technologie

Les contrats internationaux doivent inclure clauses de confidentialité, étendue des droits, gestion des améliorations technologiques, et prévoir des mécanismes sécurisés de consentement électronique[43]. Pour les contrats de transfert de technologie en contexte numérique, il est essentiel d’inclure :

  • Clauses de confidentialité renforcées protégeant les informations sensibles ;
  • Définition précise de l’étendue des droits transférés (exclusivité, sous-licences autorisées) ;
  • Gestion des améliorations technologiques futures et leur attribution ;
  • Clauses de formation et d’assistance technique pour assurer le transfert effectif ;
  • Mécanismes de résiliation clairement définis avec leurs conséquences ;
  • Organisation des responsabilités (assurances, garanties contre l’éviction) ;
  • Clause de loi applicable et de juridiction compétente pour éviter les conflits de compétence.

La protection du parcours de consentement (information précontractuelle, double-clic, signature qualifiée) et la répartition des responsabilités de paiement et d’hébergement renforcent la sécurité juridique[44].

Ces contrats doivent être blindés par des clauses précises (confidentialité, loi applicable) pour prévenir les conflits. De même, il est vital de se concentrer sur la protection du contrat électronique.

b) Protection du contrat électronique

Le contrat électronique doit être sécurisé par[45]:

  • Obligation d’information claire et complète du cocontractant avant l’engagement ;
  • Système du double clic garantissant un consentement réfléchi et non impulsif ;
  • Signature électronique qualifiée avec certification par tiers de confiance ;
  • Sécurisation des paiements en ligne avec répartition claire des responsabilités ;
  • Encadrement des intermédiaires (hébergeurs, plateformes) et de leurs obligations.

L’usage de standards probatoires et de certificats tiers facilite l’exécution et les remèdes en cas de violation.

Le respect des standards probatoires (double clic, signature qualifiée) est nécessaire pour fonder la validité des transactions numériques. En résumé, la gestion proactive des risques repose sur l’anticipation, la rigueur contractuelle et une culture PI interne forte. Enfin, un dernier axe de travail est la Surveillance digitale et la coopération régionale.

En pratique, cela passe par la mise en place d’outils de surveillance et de notices.

Des outils automatisés de détection des violations en ligne, complétés par des protocoles harmonisés OAPI-OMPI, faciliteront les retraits rapides et les actions internationales[46]. Des solutions automatisées de détection des atteintes sur marketplaces et réseaux sociaux permettent des retraits rapides et alimentent les demandes en justice.

L’utilisation d’outils technologiques est indispensable pour protéger efficacement ses droits :

  • Utilisation d’outils automatisés pour détecter les contrefaçons en ligne ;
  • Monitoring des réseaux sociaux et des plateformes de commerce électronique ;
  • Alertes automatiques en cas d’utilisation non autorisée de marques ou d’œuvres ;
  • Veille sur les dépôts de noms de domaine et de marques similaires.

La standardisation des notifications et la conservation de preuves numériques sont essentielles pour la célérité et la réussite des actions. Le renforcement des pouvoirs et protocoles OAPI/États accroît l’efficacité des mesures provisoires et des saisies douanières.

La standardisation des protocoles OAPI-OMPI est la clé pour le retrait rapide et l’efficacité des actions en justice. De plus, il est nécessaire de consolider la coopération régionale et internationale.

La coopération régionale et internationale doit se renforcer pour consolider un marché numérique unique africain[47]. Pour mieux défendre ses droits dans l’espace OAPI :

  • Utilisation des mécanismes de résolution des litiges (UDRP pour les domaines génériques, organismes nationaux comme l’ANTIC au Cameroun) ;
  • Coopération entre organismes de gestion collective des différents pays ;
  • Harmonisation progressive des pratiques et des législations ;
  • Partage d’expériences et de bonnes pratiques entre innovateurs africains ;
  • Plaidoyer commun pour une réforme législative adaptée au numérique.

L’articulation avec la Stratégie numérique de l’Union Africaine (marché numérique unique) soutient l’harmonisation et la sécurité juridique des échanges[48]. Des programmes conjoints de formation et d’outillage des sociétés de gestion renforcent la collecte transfrontalière, tout en renforçant les capacités régionales de coopération.

Le partage d’expériences et l’harmonisation des pratiques sont cruciaux pour bâtir un marché numérique unique et sécurisé. En guise de conclusion, nous terminerons par l’importance des stratégies de protection multicanale.

Une approche globale de protection implique[49] :

  • Diversifier les actifs de PI : Ne pas se limiter aux brevets, mais utiliser aussi les marques, le design, les bases de données, le capital organisationnel ;
  • Adapter la stratégie selon le contexte : parfois privilégier le brevet, parfois le secret, parfois la licence ouverte (innovation ouverte) ;
  • Gestion équilibrée entre appropriation et partage dans les projets collaboratifs (coopétition) ;
  • Réexaminer périodiquement la pertinence et la rentabilité de chaque titre de propriété intellectuelle.

La diversification des titres (marques, dessins, bases de données, secrets d’affaires) et l’arbitrage entre brevet/licence ouverte/secret selon les marchés optimisent les coûts et la vitesse d’appropriation. Une révision régulière du portefeuille selon la rentabilité et l’usage effectif permet de céder, maintenir ou étendre les protections. Cette gouvernance dynamique soutient la compétitivité des acteurs OAPI sur des chaînes de valeur numériques en expansion.

Ceci confirme que la diversification des titres et la gouvernance dynamique des actifs immatériels sont essentielles pour la compétitivité durable des acteurs OAPI. Pour conclure, une action multicanale, coordonnée et soutenue par la coopération régionale est la seule voie pour garantir l’effectivité des droits des créateurs africains. En définitive, la sécurisation des droits dans le digital repose sur la parfaite maîtrise des outils juridiques et technologiques disponibles.

Les défis de la propriété intellectuelle à l’ère numérique en Afrique nécessitent une approche globale et multidimensionnelle. La PI à l’ère numérique en Afrique nécessite une refonte urgente du cadre OAPI intégrant noms de domaine, plateformes numériques et mécanismes anti-contrefaçon adaptés. La propriété intellectuelle ne doit plus être perçue comme un épiphénomène juridique ou une contrainte administrative, mais comme un axe durable de structuration de l’entreprise et un levier stratégique de développement de l’économie africaine dans son ensemble. Dans l’économie numérique mondialisée, la protection effective des créations intellectuelles africaines conditionne la capacité du continent à capturer la valeur de ses innovations et à participer pleinement à la révolution numérique, garantissant la compétitivité et la valorisation des créations intellectuelles africaines. Les défis posés par la révolution numérique peuvent être surmontés par une meilleure compréhension des droits, une adaptation des cadres législatifs africains et l’intégration d’outils technologiques innovants. L’association d’une réforme juridique ciblée avec l’adoption des nouvelles technologies permet d’offrir un environnement plus sûr et efficace pour la protection des créations numériques africaines. Cet article a eu pour ambition de clarifier les enjeux, d’informer sur les droits, et de proposer des méthodes concrètes pour sécuriser les projets innovants dans un cadre numérique. Encourager l’harmonisation rapide des législations en matière de PI numérique au sein de l’OAPI. Promouvoir la formation continue des créateurs et juristes sur les outils numériques de protection. Renforcer la coopération régionale et internationale pour des actions concertées contre le cybersquatting et la contrefaçon numérique.

1. Réforme législative urgente

Réformer sans délai le cadre OAPI pour intégrer noms de domaine, plateformes et mécanismes accélérés anti-contrefaçon, en cohérence avec WCT/WPPT et les meilleures pratiques UDRP/ccTLD[50]. L’adaptation du cadre juridique OAPI aux réalités numériques doit inclure la régulation des noms de domaine, du streaming, des plateformes et de la blockchain.

2. Infrastructures numériques dédiées

Mettre en place une plateforme OAPI de gestion collective numérique interopérable avec les grandes plateformes internationales, avec dépôts électroniques, horodatage et reporting standardisé[51]. Cette infrastructure facilitera le suivi et la rémunération des créateurs.

3. Adoption des technologies émergentes

Généraliser l’usage de la blockchain, des smart contracts et de la signature électronique dans les chaînes de licence et de redevance, avec lignes directrices et schémas de preuve[52]. L’adoption de ces technologies doit s’accompagner de formations et de sensibilisations pour l’automatisation de la gestion des droits.

4. Procédure régionale de résolution des litiges

Structurer une coopération OAPI-OMPI-registres nationaux pour une procédure régionale type UDRP incluant une voie indemnitaire et des mesuresprovisoires[53]. Cette procédure renforcera l’effet dissuasif contre le cybersquatting et le parasitisme numérique.

5. Alignement sur la Stratégie numérique de l’Union Africaine

Aligner les politiques publiques sur la Stratégie numérique de l’Union Africaine pour soutenir un marché numérique unique et l’innovation mesurée par les indicateurs OMPI/Global Innovation Index[54].

6. Renforcement des capacités

Consolider les capacités des créateurs, entrepreneurs et juristes africains par la formation continue, les cliniques juridiques numériques et la sensibilisation accrue[55]. La création de standards probatoires facilitera la défense collective des droits.


Par Président OBAMBI Wilfrid Vivien

Magistrat et Conseiller à la Cour d’Appel de Dolisie (Congo). Ancien Juge au Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, il a également exercé la fonction de Président du Tribunal du travail de Pointe-Noire.

Il est par ailleurs Secrétaire adjoint du Réseau Africain des Magistrats de Propriété Intellectuelle (RAMPI), ainsi que Secrétaire chargé des affaires administratives, juridiques et du contentieux du Réseau des Experts en Propriété Intellectuelle du Congo (REPIC).

Enfin, il figure sur la liste des médiateurs neutres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Linkedin : https://linkedin.com/in/wilfrid-vivien-obambi


[1] 1. Les 17 États membres de l’OAPI sont : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo.

[2]  Accord de Bangui (révisé en 2015), portant révision de l’Accord relatif à la création de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), entré en vigueur en 2020.

[3] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), Addis-Abeba, 2020.

[4] Voir notamment les règlements de l’ANTIC (Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication du Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm.

[5] Frédéric POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, 2ème édition, Paris, Economica, 2020, p. 45-67.

[6] Audrey BENSAMOUN et Laure MARINO, « Droit d’auteur et droits voisins à l’ère numérique », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, 2022, p. 12-28.

[7] Michel VIVANT et Jean-Michel BRUGUIÈRE, Droit d’auteur et droits voisins, 4ème édition, Paris, Dalloz, 2021, p. 234-256.

[8] Traités Internet de l’OMPI (1996) : Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT) et Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT).

[9] Ibid.

[10] Jérôme PASSA, Droit de la propriété industrielle, Paris, LGDJ, 2022, p. 678-695.

[11] Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy (UDRP), ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), disponible sur www.icann.org.

[12] PASSA, op. cit., p. 690.

[13] UDRP, op. cit., article 4.

[14] Règlements de l’ANTIC (Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm, disponibles sur www.antic.cm.

[15] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, Genève, 2024, p. 56-78.

[16] Ibid., p. 65.

[17] VIVANT et BRUGUIÈRE, op. cit., p. 345-367.

[18] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 45-52.

[19] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), Rapport sur l’économie numérique en Afrique, Genève, 2023, p. 89-102.

[20] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 112-125.

[21] Ibid., p. 118.

[22]  Ibid., p. 120.

[23] Exemple cité dans CNUCED, Rapport sur l’économie numérique en Afrique, op. cit., p. 95.

[24] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 34-41.

[25] POLLAUD-DULIAN, op. cit., p. 123-145.

[26] Traités Internet de l’OMPI (WCT/WPPT), op. cit.

[27] PASSA, op. cit., p. 682.

[28] Ibid., p. 685-692.

[29] Accord de Bangui (révisé en 2015), Annexe I, articles 23-28.

[30] Céline CASTETS-RENARD, « Blockchain et propriété intellectuelle : opportunités et défis », Propriétés intellectuelles, n°72, juillet 2019, p. 15-28.

[31] Ibid., p. 22-25.

[32] Loi n°2008-001 du 30 janvier 2008 régissant la signature électronique au Sénégal ; Loi camerounaise sur les transactions électroniques et la signature numérique.

[33] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique.

[34] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 26.

[35] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, Publication OMPI n°917, Genève, 2021, p. 45-67.

[36] Internet Governance Forum (IGF), Guide des bonnes pratiques en matière de propriété intellectuelle numérique, 2023, p. 34-45.

[37] Ibid., p. 42.

[38] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 145-158.

[39] Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), Principes sur l’Intelligence Artificielle, Paris, 2019, p. 56-78.

[40] Ibid., p. 62.

[41] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 78-89.

[42] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 56-67.

[43] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 78-92.

[44] Ibid., p. 88.

[45] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique, articles 12-18.

[46] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 165-178.

[47] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 45-67.

[48] Ibid., p. 58.

[49] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 92-105.

[50] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 185-192.

[51] Ibid., p. 188.

[52] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 27-28.

[53] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 89-95.

[54] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 72-85.

[55] WIPO Academy, Intellectual Property and Frontier Technologies, cours en ligne disponible sur www.wipo.int/academy.

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